Giacomo Meyerbeer, qui a italianisé son prénom, est en pleine conquête de la péninsule italienne lorsqu’il reçoit commande, à 29 ans, de la Scala de Milan. Après Padoue, Turin et Venise, le jeune compositeur s’apprête donc à franchir une nouvelle étape de son ascension.
Pour mettre toutes les chances de son côté, on lui confie l’un des meilleurs librettistes de son époque, Felice Romani. Ce dernier, pour établir le « melodramma semiserio » attendu, s’inspire d’assez mauvaise grâce d’une pièce à succès de 1810, Marguerite d’Anjou, de René-Charles Guilbert de Pixerécourt, dramaturge français fort célèbre en son temps et auteur prolifique. Le personnage principal de Marguerite a été lui-même inspiré à Pixerécourt par Shakespeare. Elle apparaît en effet dans Henry VI (Marguerite fut son épouse et une régente d’acier), ou encore dans Richard III. À l’origine, Meyerbeer devait composer sur un livret – toujours de Romani – tiré de Francesca da Rimini de Dante, projet empêché par la censure. Romani ne cachera pas que le livret de secours ne l’avait pas particulièrement inspiré.
Pour faire simple, l’action se déroule durant la guerre des Deux-Roses, mais ne tient pas franchement compte de la réalité historique, puisqu’elle mélange allègrement plusieurs époques. Que l’opéra qui n’a jamais tordu les faits lui jette la première cabalette ! Marguerite, accompagnée de son fils Edouard, est revenue en Angleterre après un exil dans sa France natale (ou plus sûrement en Lorraine où elle est née). Elle n’est pas revenue seule : une troupe française, accordée par Louis XI, l’accompagne pour l’aider à lutter contre la maison d’York (les tenants de la rose blanche). Dans l’opéra, on invente donc un grand chef militaire français, le duc de Lavarenne, qui commande la troupe en question et fricote avec Marguerite, pour qui il a laissé sa propre épouse, Isaura. Celle-ci n’entend pas se laisser faire. Déguisée en homme et rebaptisée Eugenio, elle a donc suivi ce petit monde en Angleterre à son tour. Carlo Belmonte, transfuge professionnel (il était au service de Marguerite, avant de la trahir puis de revenir vers elle), ne parvient pas à empêcher que Richard Gloucester, chef des York, retrouve Marguerite et manque de l’assassiner. Lavarenne s’interpose mais au cours du combat, c’est Isaura, toujours déguisée en Eugenio, qui réussit à sauver Lavarenne et Marguerite. Le premier reconnaît sa fiancée et retombe amoureux d’elle, sous le regard bienveillant de Marguerite. Happy end du melodramma.
Outre le librettiste, la Scala n’a pas lésiné sur les interprètes, signe qu’elle croyait en Meyerbeer. C’est Levasseur, basse star de l’époque et que Meyerbeer réemploiera plus tard notamment pour le Bertrand de Robert le Diable, qui interprète le rôle de Carlo Belmonte, Nicola Tacchinardi celui de Lavarenne ou Rosa Mariani, alto, celui d’Isaura.
Un succès triomphal est au rendez-vous, voici tout juste 2 siècles. Il se maintiendra quelques années à l’affiche et fera le tour de l’Europe. Ce sera même le premier opéra de Meyerbeer traduit en français. On y trouve déjà ce qui fera la marque de fabrique de Meyerbeer et notamment ces grands ensembles spectaculaires sur fond historique où vient s’insérer une intrigue amoureuse, le tout dans une orchestration relativement riche.
Margherita d’Anjou est quelque peu tombée dans l’oubli, avant d’être reprise à la faveur du renouveau de l’œuvre de Meyerbeer ces dernières années. Et comme il s’agit d’un opéra devenu rare, il est naturel de rendre hommage à l’indispensable label Opera rara, qui a enregistré la partition en 2002, avec dans le rôle titre, Annick Massis, sous la direction de David Parry. Voici un court extrait de l’acte II, « Incerto palpito ».