Pour son édition de 1954, la Biennale de Venise commande à Britten un nouvel opéra. Le compositeur pense alors à une nouvelle de Henry James, le Tour d’écrou, datant de la fin du XIXe siècle et dont il avait entendu une adaptation à la radio plusieurs années auparavant. Britten s’intéresse à cette histoire étrange d’une gouvernante confrontée à deux orphelins dont le comportement erratique semble dicté par l’apparition récurrente des spectres de l’ancienne gouvernante et de son amant, un ancien serviteur de la maison, morts peu avant. Britten demande à la librettiste Myfanwy Piper de tirer de cette nouvelle un livret. Ce qui fascine Britten, c’est l’ambiguïté de la narration elle-même : que raconte l’œuvre, en réalité ? Que doit-on comprendre et finalement que ne peut-on que comprendre de ces fantômes et de cette histoire où les sous-entendus les plus sordides s’insinuent sans cesse et créent une atmosphère si vénéneuse et oppressante ? Pour la renforcer, Britten recourt d’ailleurs à un orchestre réduit (13 musiciens), comme il l’avait déjà fait précédemment pour le Viol de Lucrèce ou le Petit Ramoneur, et comme il le fera plus tard notamment pour ses Trois paraboles pour l’Eglise, dont la miraculeuse Rivière aux courlis.
La création du Turn of the screw par l’English Opera Group ce 14 septembre 1954, est fraîchement reçue. Toutes ces ambiguïtés, ce climat poisseux et inquiétant, déroutent les spectateurs et la critique éreinte une œuvre sans doute trop dérangeante. L’œuvre finira bientôt par imposer sa force évocatrice et ne quittera plus les scènes lyriques. En voici un extrait dans la remarquable mise en scène de Luc Bondy avec Mireille Delunsch en gouvernante, sous la direction de Daniel Harding à Aix en 2005.