Le mélomane belge se souvient, sans doute, du Saul donné par Réné Jacobs au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, quelque part au tournant du siècle. Andreas Scholl et Camillia Tilling étaient au sommet de leur art et apparaissaient comme des entités apolliniennes descendues un instant de leur perchoir. Une impression émerveillée est encore plus étourdissante quand elle se confronte à la mémoire ; la patine du temps rabotant les mauvais souvenirs pour mieux mettre en valeur l’essentiel. L’heure tourne et avec elle, la mort approche, mais au moins a-t-elle pour fonction de nous faire contempler les heures passées comme glorieuses et belles.
L’extraordinaire écriture de Händel dans Saul préfigure les éclats des grands orchestrateurs du XXième siècle. Un millier de détails – presque d’incongruités – colorent une partition qui est par ailleurs un modèle de construction dramatique. La harpe, le glockenspiel, les bassons forment une mosaïque d’une grande originalité. S’il manque à cet oratorio les tubes qui auront valu leur place dans la postérité à des partitions globalement moins intéressantes, il figure assurément parmi les oeuvres importantes du compositeur. Surtout que, tiré du livre de Samuel, Saul, effleure une variété de sujets très prisées à l’opéra, comme l’homoérotisme, le crépuscule du pouvoir, les guerres de religion, la sororité compromise. (etc. etc.)
Il y a dans la direction de Leonardo García Alarcòn une ardeur qui n’est jamais de l’agitation. Comme un souffle de vie, qui laisse à la musique le temps de respirer et à l’élégie les territoires pour s’étendre. On en viendrait presque à parler de foi, quand sous les ors de la Cathédrale, on voit le chef Argentin saisi d’une telle transe, qu’il en arrive à envoyer valdinguer le pupitre de son premier violon (il le rattrapera d’un reflexe salvateur, sans cesser de battre la mesure). Il faut souligner le travail merveilleux du Chœur de Chambre de Namur, qui ne se repose pas un instant sur l’acoustique très favorable des lieux et qui cisèle son texte – d’un idiomatisme parfait – au point d’être toujours intelligible. Formation exemplaire qui, en vingt ans, n’a cessé de progresser et d’atteindre de nouveaux sommets. Quant au Millenium Orchestra, il suit son chef avec gourmandise et enthousiasme, réussissant les pirouettes les plus insensées qu’on attend de lui.
Distribution homogène dans l’excellence menée par un Christian Immler fabuleux d’autorité, de présence scénique et d’ampleur vocale. C’est peu dire qu’il ne fait qu’une bouchée d’un rôle qui appelle, avant tout, de la stature. Le David de Lawrence Zazzo jouit des habituelles qualités de son interprête : un souci presque chambriste de la construction de la phrase, agrémenté d’éclats d’un lyrisme étourdissant. Son comparse Samuel Boden est un Jonathan honnête au sens noble du terme. Tout en lui est lisibilité et contrôle. Du côté des sœurs, la Merab de Katherine Watson manque de cette autorité retorse qui faisait tout le prix de l’interpretation de Julia Varady, mais il y a dans son interprétation, une contrariété tellement mesurée que son personnage gagne en complexité et en finesse, d’autant que le chant est absolument sublime. Ruby Hughes est une Michal qui infiniment délicate ; si son entrée en scène – dans une robe qu’on croirait sortie d’une oeuvre de Van Eyck – semble un peu timide, l’élégie qu’elle atteint dans son grand duo final est extrêmement émouvante.
Notons pour finir d’impressionantes interventions des solistes du Choeur de Chambre : Kamil Ben Hsain Lachiri – assumant plusieurs petits rôles – tantôt en basse juvénile, tantôt en baryton claironnant, installé au clavier du positif (!) ou galopant dans le transept et Maxime Melnik qui parvient sans peine à passer de l’élégie à la folie furieuse dans une mémorable scène d’invocation.
Après sa naissance au Festival de Namur, la production voyagera à Beaune ce 6 juillet prochain.