« Mais quelle Clémence de Titus a-t-on voulu nous montrer ? » s’interrogeait en mai dernier notre confrère Clément Taillia lors de la première série de représentations de la nouvelle production viennoise de l’œuvre. A la fois toutes et aucune, serions-nous tentés de lui répondre. Des “bonnes idées“, des “symboles“, des “réinterprétations“, Jürgen Flimm en a plein la tête, et il aime à nous le faire savoir. Mais l’œuvre de Mozart n’a – à notre sens – pas besoin de ce zèle : elle possède en elle-même, quelque part entre deux croches ou sur l’arrondi d’une phrase, toutes les clés du drame. Alors, oui, l’ombre de Bérénice plane sur tous les protagonistes, Titus au premier chef : pourquoi la figurer par ces hôtesses d’accueil muettes, maladroites et franchement gênantes à ne pas savoir où se placer ? C’est une guerre civile qui se joue à Rome en même temps qu’un complot contre l’empereur, sans doute. Mais pourquoi sortir kalachnikovs et gilets pare-balles, puis les ranger une fois devenus trop encombrants pour les chanteurs ? Titus est un homme déchiré, Sextus sera rongé par le remords le reste de sa vie, entendu. Pourquoi suggérer si grossièrement leurs tentations suicidaires ? C’est dans l’ellipse, le non-dit et les regards que se lit la vérité de La Clémence de Titus. En forçant le trait post-moderne (de même qu’il mélange allègrement mobilier design et bergères XVIIIe, moulures d’hôtel particulier et échafaudages plastifiés), Jürgen Flimm ne montre rien qui ne puisse être dit par la musique et par le livret, tandis que les chanteurs en sont, eux, réduits à des poses d’un autre temps. A oublier.
C’est certainement Magdalena Kozena qui, de ces jeux dangereux, tire le mieux son épingle. Elle a de Sesto – une prise de rôle scénique – toutes les notes, ça ne fait aucun doute, mais également toutes les couleurs : la gravité et le dépit, la fougue et l’élan, et davantage encore ce sens du phrasé mozartien que tant d’habituées du rôle tirent vers une virilité forcément caricaturale. Hibla Gerzmava reprend avec autant de bonheur la Vitellia qu’elle avait déjà campée à Garnier à l’automne 2011, toujours ample de volume et auguste de présence scénique. La jolie Chen Reiss ne détonne en rien en Servilia : voix bien chantante même si on lui voudrait un peu plus de chair. Le « Ah, perdona al primo affetto » qu’elle partage avec l’Annio un peu juvénile d’Alisa Kolosova attire l’oreille mais déçoit l’œil : on y voit deux chanteuses appliquées, pas encore les deux amoureux inquiets de la partition.
Nous serons cléments pour le Titus de Richard Croft, manifestement dans un jour « sans ». Le timbre s’est un peu altéré, la voix se fait moins agile et perd en légèreté ce qu’elle gagne malheureusement en métal. Requinqué, c’est dans les passages de bravoure que l’on revoit le chanteur tempétueux que l’on a tant admiré. Richard, soigne ton rhume et refais-nous un “Fuor del mar“ ! L’acteur lui ne perd rien de son talent, intact : c’est le plus convaincant de tous les Titus maniaco-dépressifs du circuit.
Finalement, le sans-faute ne se trouve réellement que dans la fosse, grâce à la direction alerte d’Adam Fischer, à la délicatesse innée des cordes viennoises, enfin à la partition ; qu’involontairement la tristesse des décors et les lumières blafardes nous ont aidé à redécouvrir. Merci Jürgen, merci Wolfgang !
Version recommandée :
Mozart: La Clemenza di Tito | Wolfgang Amadeus Mozart par Interprètes Divers