« Vous n’en avez pas un peu marre de Tamino ? » : à la question provocante de notre collègue Laurent Bury il y a quelques mois, Stanislas de Barbeyrac n’avait pas franchement démenti. Oui, il trépigne d’envie d’aller voir ailleurs ! Ce sera Ottavio dans un premier temps (en 2019 à New York, Münich, Paris), mais on se doute que des rôles autrement plus lourds l’attendent, et l’exaltent.
Voilà peut-être la raison de ce récital intime consacré à l’opéra français : poser des jalons, prendre date, mesurer le chemin déjà parcouru à 33 ans. Profiter aussi d’un public tout conquis et d’un chef de chant admirable de souplesse et d’élan (Antoine Palloc) pour esquisser – sans trop de risques encore – les figures de sa longue galerie de portraits à venir.
Déjà de Dardanus (« Lieux funestes »), le ténor semble s’éloigner, le regarder comme dans le rétroviseur. C’est que Rameau nécessite sans doute d’autres moyens, d’autres inflexions de la ligne, une autre présence. Mais, bon élève, Stanislas de Barbeyrac a le cran de proposer une reprise sur le fil de la voix, presque fantôme, en tout cas habitée. Titon (Mondonville, Titon et l’Aurore) ne nous convaincra pas davantage de la capacité de Barbeyrac à se fondre encore dans le métal du haute-contre à la française. Ceci dit, ce qu’il fait du grand air vaillant « Du dieu des cœurs » nous fait entendre à la fois le grand Titus et le grand Idoménée qu’il ne manquera pas de devenir s’il en a l’envie : « Fuor del mar » lui tombera sans un pli.
Avec Méhul (Joseph, 1807) et surtout Weber (Der Freischütz, 1821), c’est un autre monde vocal qui s’ouvre, et avec lui le début des « choses sérieuses ». Diction idéale, consonnes et voyelles, les premières venant admirablement se poser sur les secondes sans aucune espèce de discontinuité ; véhémence du caractère : voici bien installées les qualités que l’on attend du jeune héros de l’opéra romantique. Un pas seulement à franchir et nous sommes déjà passés aux affres du jeune Werther (« Ô nature »), servis par les mêmes qualités expressives, la même vaillance tranchante. S’y ajoute une maîtrise semble-t-il sans effort de l’émission, permettant à la fois l’intimité et l’intempérance.
Suivent, égrénées, les perles de la couronne du ténor français : Don Carlos, Faust (La Damnation), et finalement Don José. Y a-t-il à ce moment du récital un trop-plein à enchaîner les airs à décibels, a fortiori dans une salle minuscule qui se serait davantage prêtée à un Liederabend ? Toujours est-il, qu’indépendamment de la réussite plastique de ces trois airs (particulièrement « La fleur… »), de la maîtrise du souffle, du galbe de la phrase, il nous a paru que Stanislas de Barbeyrac appuyait trop uniformément une virilité de caractère toute prête à excéder la ligne vocale en plus de ne pas suffisamment permettre la nuance, la variété d’effets. Broutille, sans doute, au regard des immenses qualités du chanteur ; travail qui reste à entreprendre peut-être sur le chemin de ces grands rôles. Comme dirait le marquis dans Les cloches de Corneville que le ténor offre en bis : « Tout m’est facile… ». Trop ?