Un spectacle total pour tous publics (annoncé « dès 12 ans »), qui mêle le théâtre, la danse, la musique, le chant, le mime ? On en a tous rêvé, Hervé Niquet et Patrice Thibaud l’ont fait. Nos lecteurs sont des familiers du premier, dont ils connaissent bien le goût pour les bouffonneries et dont on se rappelle notamment les collaborations avec Shirley et Dino, mais peut-être moins le second, qui appartient au monde du théâtre. Acteur, auteur, metteur en scène, humoriste et mime, Patrice Thibaud participe du monde du burlesque autant que du domaine de l’émotion. Il a notamment joué avec les Deschiens, dont il est un des brillants continuateurs (certains se souviendront de la scène de la crème caramel de La Cour des grands), mais pas que. Depuis longtemps, il crée ses propres spectacles, comme Welcome avec Olivier Saladin. Sa rencontre avec Hervé Niquet, aussi festive que féconde, initiée par Éric Rouchaud, directeur du Théâtre Impérial de Compiègne, apparaît a posteriori comme une évidence. Dans un décor léger, simple mais efficace de Casilda Desazars, permettant entre autres des ombres chinoises bien utilisées, évoluent les costumes colorés d’Isabelle Beaudouin, un régal pour les yeux, sous les éclairages évocateurs d’Alain Paradis qui participent beaucoup à la création d’un monde irréel et rêvé à la fois.
© Photo Pascal Gely
La réussite est patente, même si certains traits sont parfois trop appuyés, comme les clystères pipi-caca (« Prions, purgeons ! ») qui réjouiront les enfants mais déconcerteront peut-être les adultes. En tous cas, les choses sont claires dès le début, puisqu’on lit dans le programme : « Tissé d’une musique légère, insolente et drôle, ce spectacle fanfaron et farfelu, baroque en un mot, s’adresse à notre âme d’enfant ». L’histoire du baron de Münchhausen est bien connue grâce au cinéma, et en France avec sa variante sous le nom du baron de Crac. Côté musique, il s’agit d’un pasticcio, donc d’une œuvre lyrique composée de morceaux pris à droite et à gauche chez Rameau, Campra, Grétry, Montéclair, Boismortier…. Ces musiques « légères, insolentes et drôles », comme le souligne Hervé Niquet, qui succèdent à la triste fin de vie de Louis XIV, vont ici accompagner les aventures du Baron. Aventures qu’il raconte en fait sur son lit de fin de vie. Après l’émotion de sa mort, accompagnée du beau Requiem de Campra, tout doit quand même s’achever dans la joie. Intervient donc en final l’ensemble « Nous chantons tous à l’unisson », avec les présentations de toutes les voix, bien dans l’esprit d’un Offenbach en même temps qu’une mine pour les animations scolaires à venir.
Hervé Niquet dirige comme toujours avec brio les neuf excellents musiciens du Concert Spirituel. La partie vocale est assurée par trois jeunes solistes de grande qualité. Axelle Fanyo chante la femme du Baron, dans un style fantasque bien adapté à celui de son époux. Son soprano un rien acidulé est rompu au répertoire baroque, et si elle force un peu sa performance scénique, sa ligne musicale chantée est impeccable. Romain Dayez est le curé du Baron, entre un Don Patillo qu’il n’a pu connaître, et un Basile que l’on aimerait entendre ; sa voix de baryton basse excelle en tous cas dans les airs baroques qu’il distille avec humour. Jean-Gabriel Saint-Martin est enfin un médecin du Baron encore très proche des Diafoirus de Molière, et met lui aussi sa voix de baryton au service d’airs et d’ensembles souvent au second degré, où tous ont l ‘air de bien s’amuser – comme le public. Un groupe de neuf chanteurs que l’on a peine à appeler choristes tant leur rôle d’acteurs dépasse cet emploi, et qui auraient tous mérité d’être crédités, assurent la domesticité de la maison, et développent avec drôlerie et aplomb de grandes qualités vocales et musicales. Tous les chanteurs ont travaillé leur gestuelle et leurs postures à la perfection, au point qu’elles apparaissent comme naturelles.
C’est dire l’excellence aussi du travail de mise en scène de Patrice Thibaud, qui mène ses troupes avec une bonne humeur contagieuse. Car le théâtre est de son côté excellemment servi. D’abord par Patrice Thibaud lui-même, qui est absolument épatant en Baron, dans tous les registres. Et même si parfois certaines de ses ficelles peuvent paraître un peu répétitives, la perfection du jeu – dans l’énoooorme comme dans la finesse – est telle qu’il lui sera beaucoup pardonné. Il excelle à créer en deux secondes un personnage, un animal ou une situation (un flûtiste, la délivrance de la captive, la noyade et la nage sous-marine, le séjour dans le poisson, la chasse à courre, des chiens, des oiseaux…), et la salle réagit au quart de tour. Son entrée est en elle-même un morceau d’anthologie, complétée par l’aide d’Hervé Niquet dont on sait le goût pour les interventions scéniques (et vocales) où il s’amuse avec le public. Le gag de la baguette, mené jusqu’à l’absurde, est fort drôle, et des gags, il y en a beaucoup tout au long de la représentation.
Une belle réussite de travail de troupe, un spectacle jubilatoire à voir absolument (grincheux s’abstenir).
Prochaines représentations à Massy les 11 et 12 mars 2022.