En ce même théâtre de l’Athénée, Stéphane Vérité nous avait éblouis avec sa production des Enfants terribles de Philip Glass (voir compte rendu). Le revoici avec un diptyque français, où ce qui apparaît comme sa signature personnelle semble nettement moins bien fonctionner. La maestria dans l’usage de la vidéo est indéniable, et avec son complice Romain Sosso, le metteur en scène domine cet outil. A moins que ce ne soit l’outil qui les domine, car autant le travail sur la métamorphose du décor avait un sens profond et contribuait au malaise qui caractérisait l’atmosphère des Enfants terribles, autant le même procédé paraît un peu gratuit dans La Colombe de Gounod. Certes, l’intrigue se situe dans une chaumière délabrée, mais cela justifie-t-il que le fond de scène se transforme constamment, sans une seule seconde de répit, alternant murs lépreux et colombariums en décrépitude ? Est-ce par manque de confiance en l’œuvre, comme s’il fallait à tout prix distraire l’œil du spectateur, qui autrement risquerait de s’ennuyer à suivre une intrigue certes simplette, mais pas pire que bien d’autres ? Quelques gags tentent bien de rendre comique cet opéra qui l’est uniquement parce qu’on y parle entre les morceaux chantés, mais il ne se passe grand-chose sur scène. Horace se voit imposer un comportement frénétique de fou amoureux, et Sylvie une certaine brusquerie, soit. On rit de bon cœur au moment que le XIXe siècle concevait sans doute comme le plus émouvant, celui où l’oiseau est servi comme dîner. La sauce a néanmoins du mal à prendre. Heureusement, pour cette production destinée à l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin, les rôles ont été confiés exclusivement à des francophones, ce qui était indispensable compte tenu de la place accordée aux dialogues parlés. La distribution est dominée par le magnifique Mazet de Lamia Beuque, qui peut mettre le public dans sa poche avec l’air « Ah, les femmes ! » (qui devient « Ah, les hommes ! » à la fin du premier acte). Il est heureux que la typologie vocale ait été respectée, car ce personnage travesti est parfois confié à un ténor, comme l’avait fait Pierre Jourdan à Compiègne en 1994, ce qui revient à détruire tout l’équilibre de la partition. Gaëlle Alix fait bonne impression dans un rôle très virtuose, conçu pour Mme Carvalho, mais l’extrême aigu est assez strident et gagnerait beaucoup à être désacidifié. Bien qu’il n’ait guère à chanter, Sévag Tachdian semble parfois trop peu sonore dans la partie grave de son rôle. Jean-Christophe Born est un ténor encore trop vert pour être toujours agréable à écouter : quand il ne sont pas émis en voix de tête, ses aigus paraissent bien véhéments. Dans l’œuvre de Gounod, les treize musiciens de l’orchestre Lamoureux dirigé par Claude Schnitzler offrent une sonorité souvent maigrelette : la fosse de l’Athénée n’est pas immense, on le sait, et il est permis de penser qu’à la création française en 1866, l’orchestre de l’Opéra-Comique était un peu plus fourni.
S. Tachdian, G. Alix, J.-C. Born et L. Beuque © Stéphane Vérité
Rien à redire en revanche quant à la prestation des instrumentistes dans la deuxième partie de la soirée. Le choix, chronologique mais curieux, avait été fait de donner l’œuvre de Milhaud après celle de Gounod. Bien sûr, la « complainte » de 1923 est écrite dans un langage truffé de dissonnances, plus proche de notre époque, mais elle se termine sur une absence de dénouement qui nous laisse plongés dans une ambiance fort sombre. Cette fois, Stéphane Vérité laisse le décor en paix, se contentant de montrer un entassement de containers où seuls les éclairages changent (de façon à vrai dire assez dénuée de sens). Les acteurs paraissent un peu plus dirigés, cette fois, dans l’atmosphère lourde de ce drame portuaire. Et comme il n’y a pas un seul mot de parlé, les membres non francophones de l’Opéra Studio devraient pouvoir y tirer leur épingle du jeu. La soprano slovène Kristina Bitenc s’exprime dans un très bon français et affronte avec aplomb une tessiture très large. Le Madrilène David Oller est plus effacé, et la prononciation des e, é et è lui pose problème. Malgré de très solides moyens, le ténor coréen Sunggoo Lee nous oblige à garder les yeux sur les surtitrages et la voix semble parfois trop couverte. Aux côtés de ces jeunes artistes, Fernand Bernadi fait figure de vétéran, avec un timbre de basse d’une belle noirceur, au vibrato assez marqué. Dans le relatif désert des commémorations nationales réservées à Darius Milhaud, voilà qui nous rappelle opportunément que le compositeur aixois est mort il y aura tout juste quarante ans le 22 juin prochain.