Qui a dit que les ténors faisaient courir les foules quand l’un des plus grands d’entre eux aujourd’hui ne réussit pas à remplir le Théâtre des Champs-Élysées. Pour stimuler le box-office, on avait adjoint à Ramón Vargas Ildar Abdrazakov, basse russe à la gloire montante qui, en Philippe II dans cette même salle l’an passé a marqué durablement les esprits. A l’époque, Ramón Vargas, annoncé en Don Carlo, avait déclaré forfait au dernier moment. Par un juste retour de balancier, c’est la basse qui cette fois se fait porter pâle le jour même du concert, obligeant à revoir pour un seul chanteur, un programme conçu à l’origine pour deux.
Est-ce la raison du malaise perceptible en début de soirée ? Les premiers numéros d’un récital sont certes toujours un peu tendus. Néanmoins… Des deux Mozart proposés, dont l’impitoyable « Un’aura amorosa », on retient la jeunesse vocale de notre ténor cinquantenaire : l’email inaltéré du timbre mais aussi la capacité à interpréter un répertoire auquel, d’ordinaire, la maturité oblige à renoncer. L’agilité, supérieure, rappelle qu’avant de porter haut les couleurs de Verdi, Ramón Vargas fut un interprète privilégié de Rossini.
Les trois Donizetti paraissent encore crispés. La conduite du chant, la musicalité sont admirables, le belcantiste point derrière l’utilisation du souffle mais la voix chancelle dès qu’elle se risque à la demi-teinte. L’accident est proche. Trac ? Fatigue ? Le syndrome du moteur Diesel qui exige pour tourner à plein régime une période d’échauffement ? Le piano de Mzia Bachtouridze accompagne, soutient et le temps d’une liebestod virtuose aide le chanteur à reprendre des forces.
« Partager la musique, c’est magnifique » confie dans un français timide celui qui, après l’entracte, met à l’épreuve la prononciation de notre langue dans une mélodie de Fauré au lyrisme hypertrophié.
Il a quelque chose de Pavarotti, Ramón Vargas. La queue de pie, le mouchoir blanc avec lequel il s’éponge souvent le visage, la jovialité et dans le chant une apparente facilité, un naturel rare et réconfortant pour l’auditeur. L’aigu jaillit, brillant, égal sans effort, ni esbroufe : jouissif. Passé Fauré, l’interprétation prend son envol. Romeo, Rodolfo de Luisa Miller, le premier extasié, le deuxième ardent et au-dessus d’eux, Lenski dont l’adieu à la vie s’anime jusqu’à atteindre une intensité poignante. La partie est gagnée.
Une annonce avant l’air de Luisa Miller laissait comprendre qu’il n’y aurait pas de bis (« ceci est le dernier morceau de la soirée… »). Le public réclame davantage. Face à l’enthousiasme, Ramon Vargas prolonge le partage avec une danza de Rossini allègre et trois canciones qui font soudain Paris Buenos-Aires.