Ambiance des grands soirs au Stadttheater de Klagenfurt : culottes de peau, robes de soirées et caméras de l’ORF de sortie ! A l’occasion du centenaire de l’inauguration de ce superbe théâtre jugendstil par l’Empereur François-Joseph, la capitale de la Carinthie présentait pour la première fois un opéra que l’on croyait jusqu’à présent perdu, d’un compositeur presque autant oublié : Koukourgi, de Luigi Cherubini.
Retrouvé il y a quelques années dans la bibliothèque de Cracovie, la partition de cet opéra inachevé (seule manque la scène finale) a été recomposée par le dramaturge du Stadttheater, Heiko Cullmann, et son équipe. Il faut louer ce travail musicologique précieux, qui nous permet – comme ici, à Klagenfurt – d’assister à de beaux moments : la création d’une œuvre oubliée par le temps et l’histoire. Car ce sont les évènements révolutionnaires en France qui ont interrompu le travail d’écriture de Cherubini, à l’époque directeur du Théâtre de Monsieur. Cela ne l’empêchera pas de poursuivre plus tard une carrière plutôt fameuse, reprenant sa place de compositeur des rois sous la Restauration, mettant en musique la messe de couronnement de Charles X et ses plus « célèbres » opus : Medée, Ali Baba…
Composé en 1793, alors que la monarchie s’effondre, Koukourgi, une chinoiserie dans l’esprit de l’époque, met en scène la jeune Zulma, amoureuse du brave orphelin Amazan ; amour évidemment mis en péril par le goujat de service : Koukourgi, dont les vues sur Zulma et la présence réjouissante de son tuteur Sécuro nourrissent l’œuvre de quelques gags plutôt plaisants. Mais avouons-le : l’ouvrage n’est pas d’un intérêt majeur. Musicalement, c’est même plutôt plat : structure empesée, airs et ensemble particulièrement répétitifs (le sommet étant atteint par le dialogue façon ping-pong : « Vous m’aimerez ! Non, non, jamais ! » ressassé à l’infini…). Le Cherubini de Koukourgi n’a manifestement pas le talent de Grétry, son contemporain que l’on redécouvre ces temps-ci avec ravissement (Andromaque par Niquet, L’amant jaloux et Zémire et Azor à l’Opéra-Comique).
Pourtant, grâce à un formidable travail d’équipe, la soirée s’est révélée plus agréable que la partition aurait pu le laisser penser ! Les chanteurs, bien que ne faisant pas partie d’une troupe, composent un groupe soudé dont le plaisir de se produire sur scène est manifeste. Au premier rang se place le Koukourgi malicieux et maladroit de Daniel Prohaska, au français impeccable, et qui brille dans une « Etoile du midi » quelque peu anachronique dans l’Empire du Milieu. Son rival, Amazan (Johannes Chum) est de la même trempe, avec une superbe tessiture de ténor baroque particulièrement habile. Enfin, la jeune soprano turque Cigdem Soyarslan, semble être dans le rôle de Zulma un léger cran en dessous de ses deux prétendants : la voix est là, bien placée, mais trop en retrait pour camper la jeune fille combattive et indépendante que nous propose le livret. Le reste de la distribution est à l’unisson, et si parfois, quelques faiblesses vocales se font jour (notamment celles de Daniel Belcher en Sécuro, engorgé sur toute la tessiture), elles sont immédiatement rattrapées par l’efficacité comique de l’ensemble du plateau : on a souvent ri de bon cœur dans les rangs du Stadttheater.
Pour cela (et pour le reste), il faut louer la mise en scène terriblement efficace de Josef E. Köpplinger, qui ne cherche ni à faire du vieux avec du neuf, ni à perdre le spectateur dans quelque transposition hasardeuse. Des jeux de néon multicolores structurent la scène, sur laquelle trône une gigantesque tête de Janus, montrant tantôt une figure guerrière, tantôt un paisible visage féminin. Autour d’elle se noue l’intrigue, alternant les dialogues, les passages comiques et les ensembles : à chaque fois de belles images, rendues possibles par les admirables costumes de Marie Luise Walek. Ou comment rendre avec perfection cette image si européenne de chinoiserie du XVIIIe siècle. Charmant !