Voici venues les fêtes de Noël. Un peu de bonne humeur est bienvenue en cette fin d’année 1864 qui a vu monter les revendications ouvrières dans le pays. Notre Empereur et son ministre Emile Ollivier ont su les calmer en accordant un droit qui pourrait avoir son importance dans le futur : le droit de grève. L’autre jour, nous étions à une soirée musicale où se trouvait précisément Emile Ollivier. Ce grand amateur de musique qui est l’avocat et l’ami de Richard Wagner, nous disait qu’à Londres a été créée l’ « Association internationale des travailleurs » par un homme qui s’appelle quelque chose comme Karl Marx. A-t-il de l’avenir ?
Bref, nous sommes allés nous changer les idées en assistant, samedi dernier 17 décembre, à la création de l’opérette de M. Offenbach, la Belle Hélène, au Théâtre des Variétés, boulevard Montmartre.
Affiche de la Belle Hélène
Depuis, un air ne cesse de nous tourner dans la tête : « Je suis l’époux de la reine, poux de la reine, poux de la reine … » Ce Monsieur Offenbach n’a pas son pareil pour inventer des airs obsédants !
Le Théâtre des Variétés dont la façade en forme de temple grec se dresse sur l’un des nouveaux boulevards tracés par le préfet Haussman, était autrefois cantonné dans le vaudeville. Il a décidé de s’ouvrir à l’opérette. Cela a fait l’affaire de M. Offenbach qui est actuellement en conflit avec son ancien théâtre des Bouffes Parisiens.
Dans sa Belle Hélène, il a parodié l’antiquité en racontant les amours de la reine grecque Hélène pour le prince troyen Pâris. C’est Pâris à Paris, ah, ah, ah ! (On ne dira jamais assez l’importance de l’accent circonflexe !)
Cette parodie ne plaît pas à tout le monde. Nous avons rencontré l’écrivain Théophile Gautier qui s’insurgeait contre la ridiculisation de l’Iliade et l’Odyssée. Le poète Théodore de Banville renchérissait en disant: « C’est une œuvre de haine israélite contre la Grèce ! »
Il n’empêche, le succès a été considérable. L’œuvre se moque, en fait, de nos institutions et de nos dirigeants au travers des rois de la Grèce « remplis de vaillance, plis de vaillance, plis de vaillance ». Au travers du personnage d’Oreste, elle caricature les dandys.
Hortense Schneider, interprète de la Belle Hélène
« Dis moi Vénus, quel plaisir trouves-tu à faire ainsi cascader la vertu ? » : le personnage d’Hélène, interprété par Hortense Schneider, chante cela. Ah, la belle Hortense Schneider ! Elle est une vraie chanteuse au milieu d’une troupe faite plutôt de comédiens chantants. Il y a aussi le chanteur belge José Dupuis, interprète de Pâris, qui fait tinter son ténor léger tout en assurant la mise en scène du spectacle. Jean-Laurent Kopp, lui, tient le rôle de Ménélas… hélas ! Le « roi des rois », Agamemnon (« l’époux de la reine, poux de la reine ») est interprété par Henri Couder. A ses côtés, Ajax, le roi de Salamine, est incarné par un certain Hamburger. Couder n’en a fait qu’une bouchée ! Quant au personnage d’Oreste, il est interprété en travesti par Léa Silly. Elle est, tout le monde le sait, une rivale d’Hortense Schneider, soutenue par le journal la « Vie parisienne »… dont le directeur est un ami de sa sœur, tandis qu’Hortense Schneider a les faveurs du Figaro… dont le directeur est un ami d’Offenbach !
Caricature de la Belle Hélène
Pour notre part, c’est la belle interprète d’Hélène que nous soutenons. Parodiant l’air d’Agamemnon « Je suis l’époux de la reine, poux de la reine», nous chantons « Je suis fou de l’Hélène, fou de l’Hélène !… »