Quel est le lien entre la politique de la terre brulée à Bakou en 1942 et les péripéties de Die Walküre ? Quel est le rapport entre notre Amérique des arnaqueurs à la pompe dans Das Rheingold hier et nos paysans frustres d’aujourd’hui (voir la description complète de Maurice Salles l’an passé) ? Il n’y en a pas. L’incohérence de lieu pourrait passer, mais le retour dans le passé annihile toute possibilité de jonction entre le prologue et la première journée. Difficile de voir dans les magouilles pétrolifères de mafieux des fifties, les graines de la révolution plantées lors du séjour de Staline en Azerbaïdjan (1907). Pourtant, Frank Castorf confirme l’impression donnée hier. Point d’arc narratif englobant pour ce Ring. ça on le savait. Mais un récit et une manière du kaléidoscope comme si toutes les facettes de l’épopée ne pouvaient être captées que par morceaux, différents à chaque vision. Une méthode, une sorte d’happening poussé à son paroxysme, une mise en tension de l’instant même de la représentation. Le regard des spectateurs et donc la réception de l’oeuvre sont toujours partagés entre l’action principale, des actions secondaires (l’ouvrier devenu professeur qui lit le petit-livre rouge entre autres exemples), la captation vidéo de la coulisse (Hunding qui s’endort) ou la projection d’autres vidéos (Wotan avec la mère des Wälsungen, propagande soviétique). C’est du moins ce qu’expliquent les spectateurs revenus pour une deuxième ou une troisième fois voir ce Ring. Mais ils disent aussi que maintenant qu’ils reviennent, ce ne sont pas la mise en scène et ses références obscures (cyrillique oblige) qui retiennent leur attention, mais bien la musique et les chanteurs. Frank Castorf se sera juste quelque peu trompé de lorgnette pour cette journée : dans son Rheingold on retrouve sans mal l’essentiel de l’œuvre une fois abstraction faite du vernis bling-bling qui l’habille. Die Walküre perd ce fil : il y a trop de mousse et pas assez de crème. Si à cela s’ajoute une direction d’acteur bien moins fouillée et tendue que celle de la veille…
La crème est une nouvelle fois à l’orchestre. On ne revient pas sur les qualités évoquées pour Das Rheingold et toujours d’actualité, mais on s’attardera sur le lyrisme : la suavité des cordes est à se pâmer et Kirill Petrenko travaille une pâte cette fois plus volumineuse, plus héroïque notamment au premier et au troisième acte. Toutefois, il faut noter un passage à vide dans le deuxième acte atour du monologue de Wotan où l’orchestre trop en sourdine aurait pu être fouetté davantage pour pallier le statisme de la mise en scène. Seul reste à cet instant Wolfgang Koch toujours aussi diseur, qui tente, planté seul sur scène, de faire vivre son discours. S’économise-t-il ? Le troisième acte le verra tout donner et se fatiguer jusqu’à des adieux poignants mais bien souvent imprécis dans les attaques. Le creux dans l’acte central se fait sentir encore davantage quand on entend comment le chef Russe mène les scènes, qu’il s’agisse de celle de Fricka (Claudia Mahnke superlative) noble et vindicative (elle est armée d’un fouet pour elle aussi faire monter la sauce à l’unisson de l’orchestre), et l’annonce de la Mort, entamée dans une douceur de mauvais augure et qui au gré d’un crescendo haletant s’achève sur la résolution de Brunnhilde. Catherine Foster n’est plus la même, Maurice et Roselyne en seraient surpris. Péché véniel qu’une simplification dans le trille avant la montée à l’aigu de ses Hojotoho, la soprano en impose avec un grave sonore, un aigu triomphant et du volume à revendre. La ligne et le lyrisme sont eux aussi bien servis, malgré quelques brefs problèmes de souffle dans les longues interventions du 3e acte. Nos Walkyries, qui rassemblent de nombreuses solistes des autres volets et quelques prompts renforts (voir la distribution), amènent leur lot de satisfaction… à défaut des corps des héros tombés au combat. On se délecte de leurs simagrées devant la caméra. Mais pour un soir, les héros sont encore les jumeaux maudits et trahis : Johan Botha, en remontre à tous en terme d’endurance et de beau chant même si le timbre est plus nasal que celui de son Walther New-Yorkais. Le Hunding vocalement effacé de Kwangchul Youn peut bien la menacer physiquement, Anja Kampe rayonne. Sur scène déjà, où tout est rendu crédible par cette beauté blonde, par ce port qui rappelle certaine devancière par si lointaine (Waltraud si tu la regardes…), et par ce chant enfin, toujours vibrant, qui vous serre la gorge lorsque surgit le leitmotiv de la rédemption par l’amour.