Composé en 1913, le Deutsche Motette de Richard Strauss est une pièce imposante du fait de ses 20 parties vocales réelles. En plus de causer les embarras techniques que l’on imagine, ce casse-tête polyphonique est d’une redoutable difficulté pour les chanteurs qui, dans un tel imbroglio contrapuntique, n’ont pas droit à l’erreur sous peine de ruiner la construction d’un édifice sonore dont le texte évoque la lutte contre le pouvoir des ténèbres. Rückert, auteur du poème, invoque la lumière (« Licht ») tandis que Strauss utilise la science, celle d’un contrepoint raffiné et luxuriant (Scienta vincere tenebras !). Le compositeur maîtrisant tous les artifices de l’écriture polyphonique, le résultat est époustouflant.
Egalement composé sur un texte de Rückert, Traumlicht est écrit en 1935, époque à laquelle Strauss est contraint de démissionner de la présidence de la Reichmusikkammer à cause de sa collaboration avec Stefan Zweig, écrivain dont le talent et le génie ne compensent pas, aux yeux du pouvoir, les origines juives. En complément de programme, les Zwei Gesänge op.34, pièces d’inspiration bien différente puisque mythologique (Der Abend sur un texte de Schiller) ou biblique (Hymne de Rückert, d’après un épisode de la Genèse).
Bien que la notion de « version de référence » ait quelque chose de détestable, il faut bien convenir que celle-ci en est une. D’abord parce que les œuvres chorales de Richard Strauss ont été relativement peu enregistrées. Ensuite parce que la présente version tend vers une inénarrable perfection technique et musicale. Preuve en est l’interprétation magistrale du Deutsche Mottete qui impressionne de bout en bout. On ne s’y ennuie pas une seule seconde tant Equilbey et ses troupes parviennent à modifier sans cesse l’éclairage polyphonique et mettre en relief ce que cette page a de plus sublime. Il faut également souligner la prestation irréprochable des solistes, qui participent à cette grande réussite. Chacun dose avec justesse la part de lyrisme que le compositeur d’Ariadne auf Naxos leur confie sans pour autant tomber dans une prestation opératique. Nous sommes en présence d’une interprétation confinant au miracle tant les subtilités d’écriture sont magnifiquement réalisées. Laurence Equilbey parvient à allier idéalement main de fer et gant de velours, composantes nécessaires à la réussite de la « performance ». Et lorsque l’on pense avoir entendu le plus beau, vient le Traumlicht chanté et dirigé avec une souplesse formidable ou encore Der Abend dont les sonorités nous emmènent dans un autre monde. Rendons grâce à Pierre-Antoine Signoret, responsable de la magnifique prise de son qui participe au sublime de cet enregistrement. Un disque court mais intense, à mettre entre toutes les mains !
Nicolas Derny