En 1845, après Alzira, Verdi avait signé un engagement selon lequel il donnerait un nouvel opéra au San Carlo de Naples. Et il devait l’écrire avec le librettiste qui avait déjà travaillé avec lui pour Alzira et pour sa Bataille de Legnano, Salvatore Cammarano, lié par contrat au San Carlo. Verdi n’avait pas d’autre choix que de faire cet opéra avec lui.
Pendant quatre ans, Verdi regrette cet engagement. Il cherchera même à s’en défaire en 1848. Mais comme le royaume des Deux-Siciles n’a alors rien d’un havre libéral, il est contraint de maintenir le contrat en raison de la menace très directe que ferait peser un renoncement sur l’infortuné librettiste. Cammarano, sujet napolitain, risque en effet rien moins que la prison pour désobéissance au roi, même indirecte. Verdi fait donc contre mauvaise fortune bon cœur.
Mais alors, écrire sur quoi ? On lui demande sans cesse de faire dans la fresque historique, comme il venait bon gré mal gré de le faire à Rome avec la patriotique Bataille de Legnano. Mais à 34 ans, après 13 opéras en presque 10 ans, Verdi n’a plus envie de cela. Il écarte tout de go Rienzi ou Cléopâtre, et aussi un certain Siège de Florence. Il pense plutôt, au printemps 1849, à une œuvre de Schiller, « Kabale und Liebe », une pièce de 1784. Point de fresque, voici un beau mélodrame tout à fait dans la veine du moment.
Comme d’habitude, le livret vise moins à adapter la pièce qu’à éviter les foudres de la redoutable censure napolitaine, qui voit le mal à peu près partout. Ce qui est inévitable, puisque le mal s’incarne dans à peu près tout pour ces as du ciseau, surtout là où on ne l’attend pas. Ça démarre mal, puisque le héros de Schiller s’appelle… Ferdinand. Comme le roi, le massif et sévère Ferdinand II. On change donc le nom pour Rodolfo. Il faut ensuite gommer tout ce qui fait trop républicain, trop révolutionnaire, trop subversif. Il s’en faut donc de peu pour qu’on réécrive toute la pièce…
Cammarano lui envoie sa copie définitive mi-août 1849, après avoir distillé des petits bouts depuis le printemps. Verdi met un peu moins de deux mois à réaliser une partition qu’il chérira sa vie durant, sa correspondance en atteste.
Et puis il ne saurait y avoir d’opéra de Verdi sans un monceau de problèmes dans sa préparation. D’abord, Verdi perd beaucoup de temps à Rome, sur le chemin de Naples, puisqu’ayant séjourné auparavant à Paris où une épidémie de choléra faisait rage, le compositeur est placé en quarantaine. Ensuite, le ténor maison, Bettini, chante comme une casserole et est congédié au dernier moment, mettant Verdi, furieux, devant le fait accompli. Heureusement il est remplacé par l’excellent Malvezzi. Puis le San Carlo, comme bien souvent, fait face à de grosses déconvenues financières et ne peut pas payer son acompte à Verdi, très chatouilleux sur le sujet.
Au moins peut-on compter finalement sur une distribution de haute volée, avec la Gazzaniga dans le rôle-titre et De Bassini dans celui de Miller ; si bien que la création, voici 170 ans aujourd’hui, remporte un certain succès.
Le plus important reste que Luisa Miller constitue un tournant dans la carrière de notre cher bougon, sa 3e naissance, après celle de 1813 et le premier triomphe de 1842 et Nabucco. Après ce petit mélodrame, rien ne sera plus comme avant. Stiffelio confirmera le tournant, puis viendra la fameuse trilogie. Mais c’est là une autre histoire.
Cette œuvre regorge d’invention. Je pourrais vous proposer ses tubes, mais voici plutôt l’impressionnant finale du 1eracte, dans une production qui fit date à Londres, voici 40 ans, avec Domingo, Bruson, Wixell et Katia Ricciarelli dans le rôle titre, sous la baguette de Lorin Maazel.