Contrairement à ce que l’on croit parfois, Peter Grimes n’est pas la première œuvre lyrique de Benjamin Britten. Il avait composé en 1941 une opérette, Paul Bunyan, qu’il s’employa ensuite à dénigrer jusqu’au soir de sa vie. Alors qu’il se trouvait aux Etats-Unis avec son compagnon Peter Pears, fuyant la guerre en Europe, Britten entendit sur la BBC une émission sur le poète britannique George Crabbe, à propos de son œuvre The Borough, village de pêcheurs au sein duquel vivait Peter Grimes. Village qui rappelait Aldeburgh, petite ville côtière où était né le poète… et Britten. Matériellement encouragé par le chef d’orchestre Serge Koussevitsky, tout puissant patron de l’orchestre symphonique de Boston, Britten retourne dans son pays natal et confie le livret de son futur opéra à Montagu Slater, qui emprunte à d’autres poèmes de Crabbe pour ciseler son ouvrage. La composition dure un an et s’achève début 1945. A Londres, la Sadler’s Wells, fameuse salle, accepte de créer l’œuvre ce 7 juin 1945, sous la direction de Reginald Goodall, dans une mise en scène d’Eric Crozier et avec Peter Pears dans le rôle titre. Le succès est considérable, scellant la résurrection de l’art lyrique anglais et propulsant Britten au premier rang des compositeurs britanniques. Si Peter Pears a marqué profondément le rôle du pêcheur maudit et ambigu, l’un des plus complexes du répertoire, Jon Vickers en a livré une interprétation écrasante que Britten, pourtant, détestait. Pour ne pas avoir à choisir entre Pears, Vickers ou encore Langridge, voici un extrait d’une des scènes les plus fortes de l’opéra, l’une des plus terrifiantes aussi, lorsque, à la fin de l’oeuvre, tout le village se lance, en hurlant le nom de Peter Grimes, à la chasse à cet homme qu’il soupçonne du pire et qu’il a déjà jugé.
Dans cette production légendaire dirigée par Colin Davis au Covent Garden en 1981 et dont il reste un des enregistrements les plus fameux de l’oeuvre, on voit lors de l’interlude qui suit ce chœur terrible, apparaître, chancelant, le Grimes halluciné de Vickers, dont la dernière scène laisse pantois.