Malgré son jeune âge (24 ans alors), Mozart n’a pas écrit d’opera-seria depuis Lucio Silla, 7 ans plus tôt. Alors qu’il se trouve à Salzbourg à l’été 1780 et que la période n’est guère productive, il reçoit une nouvelle commande d’un opéra de cette nature de la part du prince de Bavière et électeur palatin, Karl-Theodor, en vue de la saison du Carnaval 1780-1781. Mozart en est tout heureux. À présent que le prince a déménagé de Mannheim à Munich compte tenu du cumul de ses charges, Mozart sait qu’il pourra compter sur des musiciens particulièrement pointus pour jouer sa future œuvre, avec un orchestre considéré comme l’un des meilleurs d’Europe.
On propose à Mozart – à moins qu’il l’ait souhaité lui-même – de reprendre l’argument de la pièce de Crébillon père, Idoménée, créée trois quarts de siècle plus tôt et que Campra avait déjà mise en musique peu après.
Influencé par ses proches conseillers, en particulier religieux, le prince – très influençable – veut un opéra en italien, comme l’exige la tradition du moment. Il confie donc à un père abbé, salzbourgeois comme Mozart, mais d’origine italienne, Giambattista Varesco, le soin de bâtir le livret dans cette langue. Mozart n’en est pas mécontent : il a bien l’intention d’obtenir de ce pauvre abbé exactement ce qu’il veut pour sa musique.
Mais pour tout ça, encore faut-il obtenir l’autorisation de son employeur, le terrible prince-archevêque Colloredo, de se rendre à Munich pour travailler à cet opéra au profit du prince voisin. Colloredo accepte de très mauvaise grâce. Il lui donne 6 semaines de congés, pas une de plus – et c’est fort peu. Mozart les prend sans rechigner, trop heureux de s’éloigner de celui qu’il déteste. Il part seul à Munich et y retrouve des amis sur qui il peut compter, dont le directeur du fameux orchestre si renommé, Cannabich. Mozart est fort bien accueilli par le comte Seeau, organisateur des spectacles de la cour du prince-électeur. Seeau lui fait rencontrer ce dernier, qui est tout aussi aimable : « Le prince a été très grâcieux avec moi » écrit le compositeur. Pour parfaire ces bonnes dispositions, Cannabich lui fait même rencontrer la favorite du moment de Son Altesse, la comtesse Baumgarten.
Ainsi entouré, dans un climat très positif, Mozart se met au travail. Et il le fait en patron, écrivant quelques arias comme c’est l’usage, pour les chanteurs qui le lui demandent, mais à condition que le cadre qu’il veut donner à son œuvre n’en soit pas altéré. Il n’hésite pas à rabrouer l’un de ses plus sûrs soutiens sur place, mais qu’il trouve un peu trop vieux désormais, le ténor Anton Raaf, 66 ans, qui lui demande une faveur à propos d’un quatuor. Va pour les airs, mais pas touche aux ensembles ! Quant au librettiste, l’abbé Verasco, c’est peu dire qu’il entend souvent les cloches sonner , comme le montre la correspondance très dense entre les deux hommes : « Le second duetto est entièrement coupé – et vraiment avec plus d’avantage que de dommage pour l’opéra. Car vous devez voir, si vous lisez la scène, qu’un aria ou un duetto la rend languissante et froide, et c’est très gênant pour les autres acteurs, qui doivent rester là debout. Et en outre, ce combat de générosité entre Ilia et Idamante serait trop long et, par suite, perdrait toute sa valeur ». Jamais sans doute Mozart ne s’est montré si pressant pour obtenir ce qu’il veut. Il est comme transporté. Une mauvaise grippe n’arrive même pas à l’arrêter. Pas plus que le deuil public provoqué par la mort de l’impératrice Marie-Thérèse, que Mozart évoque avec une certaine désinvolture. Son assurance le rend impertinent et moqueur.
Les répétitions d’Idomeneo, re di Creta commencent le 1er décembre 1780. Parfois sous le regard du prince-électeur lui-même. Mais Mozart est censé rentrer à Salzbourg car les fameuses 6 semaines octroyées par Colloredo sont achevées. Il est sauvé in extremis par le voyage du prince-archevêque à Vienne, en raison de la mort de l’impératrice et Mozart en profite pour resquiller et rester à Munich. Il raccourcit alors la partition et retire quelques airs.
La première est annoncée pour le 29 janvier, voici 240 ans, avec une semaine de retard, 2 jours après le 25ème anniversaire de Mozart. De son déroulement on ne sait rien. La presse du lendemain ne parle que des décors… Bien accueillie ou pas, l’œuvre est vite retirée de l’affiche, après trois représentations, et on n’en parle plus guère. Et pourtant, que de moments de grâce dans cet opéra ! Comme le célèbre « Fuor del mar », l’air d’Idoménée à l’acte II, qui plaisait tant à son créateur Raaf, ici interprété par son lointain successeur, Juan-Diego Flórez.