Un peu de divertissement. Après Peter Grimes et le Viol de Lucrèce, Benjamin Britten a envie de traiter un sujet moins tragique pour son quatrième opus lyrique en six ans, qu’il souhaite composer pour un petit orchestre comme le précédent. C’est le futur librettiste de Billy Budd, Eric Crozier, qui lui suggère d’adapter une nouvelle de Maupassant, Le Rosier de Madame Husson. Crozier transpose l’intrigue dans un village imaginaire du Suffolk.
On s’apprête à désigner la Reine de Mai, et les notables locaux se réunissent chez la plus honorable, Lady Billows, pour désigner l’heureuse élue. Plusieurs femmes du village sont citées, mais toutes sont écartées ou critiquées par Mrs Pike, la gouvernante de Lady Billows. Trop ceci ou pas assez cela ; bref ce sont des femmes et en choisir une ne manquerait pas de susciter l’intérêt forcément suspect des hommes, d’autant que les précitées ont toutes quelque chose à se reprocher aux yeux de la très prude et très pénible Mrs Pike. Mi-exaspéré, mi-sérieux, le chef de la police locale, Mr Budd (tiens donc) suggère alors qu’on élise un homme roi plutôt qu’une femme reine, et voilà. Il propose Albert Herring, le fils de l’épicière, un peu simplet (Se nommer Albert Hareng, ce n’est pas facile à porter, il faut dire), mais qui réunit les suffrages. Albert, justement, est un peu tourmenté par le « beau sexe » et s’applique à rester aussi réservé et discret que possible conformément aux instructions de sa très étouffante mummy. Il s’attire ainsi les moqueries de ses camarades, Sid, le jeune boucher et Nancy, la fille du boulanger. Alors qu’il s’interroge sur le sens des choses, voici que débarque le comité de notables, qui vient lui annoncer son élection unanime comme Roi de Mai. Le jeune garçon trouve la proposition grotesque (comme quoi, il n’est pas si bête que ça) et refuse prestement. Mais sa mère, très autoritaire, ne résiste pas à la prime offerte au vainqueur et oblige par la violence son fils à se plier à la décision du comité.
Sid et Nancy n’ont de cesse de chercher à bousculer un peu ce benêt d’Albert. Ils versent du rhum dans sa limonade tandis que la chorale célèbre l’élection du nouveau Roi de Mai. Lady Billows fait un discours réactionnaire sur les dangers de l’alcool et autres débauches propres à détourner les cœurs purs de la vraie vie et tout le monde trinque. Albert trouve sa limonade particulièrement goûteuse et est pris d’une crise de hoquet à la grande surprise de l’assistance. Alors qu’il rentre joyeusement chez lui et qu’il pense au regard de Nancy, il surprend cette dernière fricoter avec Sid. Frappé au cœur, il décide d’aller continuer à arroser au village son élection à la limonade arrangée…
Mais le lendemain matin, Mme Herring ne trouve pas son fils et tout le village se met en quête du disparu, un peu comme dans Peter Grimes, mais ici avec inquiétude. Nancy, émue, se dispute avec Sid qui trouve tout ce cinéma bien inutile. Tout le monde se monte le bourrichon autant qu’il est possible et c’est tout juste si on ne fait pas appel au MI5. Soudain, Albert, qu’on finit par croire mort, réapparaît dans un état désastreux. Il avoue alors avoir dépensé une partie de son prix dans un pub, entre bières et filles. Et il s’y est battu aussi… Lady Billows, horrifée, le démet de son prix tandis que seuls Sid et Nancy le défendent. Albert, lui, reproche amèrement à sa mère son autoritarisme et le fait qu’elle l’ait étouffé pendant toutes ces années. Et puis tout le monde se réconcilie joyeusement.
Destiné à Glyndebourne, ce petit opéra de chambre n’est pas vraiment du goût du fondateur et directeur du festival, John Christie. Pour la première dirigée par Britten, voici tout juste 75 ans, Christie explique à tous ceux qu’il croise qu’il regrette beaucoup de leur présenter cette pièce. Inutile de dire que dans ces conditions, le public fait un accueil glacial à la production. « Une abominable petite chose » écrira le Times. Furieux, Britten ne créera plus jamais un seul de ses opéras in loco et, pire encore, aucune de ses œuvres n’y sera à nouveau montée de son vivant. C’est à la suite de cette déconvenue que Britten décidera de monter son propre festival, chez lui, à Aldeburgh, et c’est avec Albert Herring qu’il l’inaugurera l’année suivante. L’opéra reviendra à Glyndebourne 38 ans plus tard, avec grand succès cette fois.
Voici un extrait du premier acte (et non du deuxième comme c’est indiqué), dans une production de l’Opéra-Comique en 2009, avec Allan Clayton dans le rôle-titre.