Le triomphe de Nabucco n’a pas fait hésiter le directeur de la Scala, Bartolomeo Merelli, qui propose d’emblée à Verdi de faire coup double avec une nouvelle œuvre dont il attend peu ou prou les mêmes ingrédients, synonymes de succès. Comme on ne change pas une équipe qui gagne, Verdi demande au librettiste de Nabucco, Temistocle Solera, de lui trouver un argument, que ce dernier va chercher dans la série de poèmes de Tommaso Grossi, intitulée « I Lombardi alla prima crociata », parue une bonne quinzaine d’années auparavant. Mais il le tricote tant et si bien qu’il produit un livret terriblement alambiqué, dans lequel trois histoires s’entrecroisent : l’histoire de la conquête de Jérusalem par les croisés lombards, l’amour que porte la fille d’un croisé pour un musulman qu’elle convertit in extremis, et l’histoire de deux frères dont l’un a voulu tuer l’autre pour une sombre histoire de jalousie. La tâche de Verdi, qui dédie la partition à l’ex-impératrice Marie-Louise, duchesse de Parme, ne s’en est pas trouvée très facilitée.
La censure, méfiante sur un tel sujet, a par ailleurs bien tenté, comme d’habitude, de sortir ses gros ciseaux sous l’implusion de l’archevêque de Milan. Mais comme d’habitude aussi, Verdi s’y est opposée avec toute l’énergie que pouvait lui inspirer sa mauvaise humeur et réussit ainsi à préserver une œuvre pour laquelle il compose une partition qui n’atteint pas les sommets de Nabucco, mais qui remporte un nouveau triomphe – éphémère – et qui contient de grands moments, tour à tour patriotiques, glorieux ou plus intimistes. C’est par exemple le cas de ce tableau qui vient conclure l’acte III (il s’agit de l’épilogue de la seconde histoire retracée par le livret) et qui débute étonnamment comme un vrai concerto pour violon, introduisant un beau trio, dont un extrait est ici chanté par Deutekom, Domingo et Raimondi sous la direction bien peu inspirée de Lamberto Gardelli. James Levine fera infiniment mieux au milieu des années 90.