Ce 17 décembre 1870, il n’est pas du tout certain que Naples commémore le centenaire du 1er jour de la vie de Beethoven (né peut-être le 15, peut-être le 16 voire le 17 et baptisé dans la foulée). On y apprend plutôt la mort d’un compositeur respecté, mais déjà un peu oublié, Saverio Mercadante.
Né à Altamura, non loin de Bari, 75 ans plus tôt, le petit Saverio a comme Beethoven pour date de naissance officielle celle de son baptême. Lorsque sa famille s’installe à Naples en 1806, il réussit à entrer au Conservatoire au moyen d’un petit mensonge sur son âge et sur sa provenance… Il commencera au San Carlo en composant des ballets et écrit son premier opéra à 24 ans (L’Apoteosi d’Ercole). C’est le début d’une série qui le mènera aux grands triomphes d’Il Giuramento, des Orazi e i Curiazi ou d’Il Bravo. Grand voyageur – mais revenant toujours au bercail – il est invité par le dieu Rossini à Paris. Il n’y perce pas mais y conçoit une réforme de l’opéra italien à son retour en Italie, avant de prendre la tête du Conservatoire où il était entré comme élève quelques décennies plus tôt. Figure majeure de la vie musicale italienne, il tient son heure de gloire avec le départ à Paris – de fait définitif – de Donizetti, fâché de ne pas avoir été choisi pour diriger le Conservatoire de Naples. Rossini se trouve déjà dans la capitale française et Bellini y est déjà mort. Son seul vrai rival dans la péninsule à l’orée de la décennie 1840, ce n’est guère que Pacini, aujourd’hui encore plus oublié que Mercadante. Son style nerveux, direct, vitaminé, plaît aux Italiens. Il laissera ainsi 60 opéras et les fragments d’un dernier sur Catherine de Médicis, de nombreuses cantates et œuvres sacrées, des pièces de circonstance ou des chansons populaires napolitaines, lui le Pugliese.
Mais voilà, peut-être Mercadante ne voit-il pas venir le danger, lorsqu’on lui parle (lui en a-t-on seulement parlé, d’ailleurs ?) d’un jeune compositeur, un Parmesan appelé Giuseppe Verdi, qui vient de frapper un grand coup à Milan avec un premier opéra, Oberto, conte di San Bonifacio. Peut-être y pense-t-il d’autant moins que le deuxième opus de l’intéressé s’écrase comme une crêpe. Mais après le Nabucco de Verdi, on ne plaisante plus. Mercadante a un style vif ? Verdi est foudroyant. Il est direct ? Verdi est tranchant. Il ne faut pas 10 ans pour que Mercadante passe du statut de premier à celui de has been qu’on commence à regarder avec condescendance. Il n’est plus que le directeur du Conservatoire de Naples. Pour la création, on regarde ailleurs. Son dernier opéra achevé, Pelagio, est créé en 1857, même si c’est Virginia, d’après Alfieri et composé sur une dizaine d’années, qui est créé le dernier à Naples, en 1866. À cette date, Mercadante est devenu aveugle et son déclin personnel se précipite.
À sa mort, voici 150 ans, il ne faut d’ailleurs pas très longtemps pour que ses œuvres quittent le répertoire, à l’exception peut-être d’Il Giuramento. Ce même opéra qui, présenté à New York au milieu des années 1840 avec le nom de Mercadante, n’avait pas rencontré le succès, qu’il trouvera peu après à Boston, avec le nom de… Verdi. Voilà donc que Mercadante est condamné à n’être plus qu’un chaînon entre Donizetti et le jeune homme pressé. Et pourtant…. Il attend aujourd’hui, comme Rossini ou Donizetti, le jour de sa renaissance.
Comme votre serviteur en a l’habitude lorsqu’il est question de l’anniversaire d’une disparition, voici la dernière œuvre achevée de Mercadante, l’opéra Pelagio, dont voici un court extrait, l’air de Bianca « D’un infelice, oh ciel, accogliere… », ici chanté par Clara Polito, et qui ne manque pas d’allure avec son superbe solo de violoncelle. Si vous êtes curieux, vous trouverez le même air, mais accompagné au piano, interprété par Magda Olivero.