Pour l’opéra de Berlin, Gaspare Spontini –qui avait été nommé directeur général de la musique royale par Frédéric-Guillaume III quelques années plus tôt- se voit proposer 3 sujets pour composer son unique opéra en langue allemande. L’aspiration du compositeur pour écrire de grandes fresques historiques lui font choisir un épisode de l’histoire des Hohenstaufen, dont Friedrich von Raumer venait de publier un récit, qu’adaptent pour le compositeur Ernst Raupach et Karl von Liechtenstein. Spontini voit grand et compose un opéra historico-romantique, baptisé « Agnès von Hohenstaufen » qu’il considère vite comme sa meilleure partition.
La création, d’abord prévue pour les noces de Charles de Prusse, est repoussée de 2 ans, pour un autre mariage (celui du futur empereur Guillaume Ier). Elle a donc lieu voici 190 ans à l’Opéra royal de Berlin. Une autre version sera créée en décembre 1837.
L’action, passablement compliquée, se déroule à la fin du XIIème siècle à Mayence. L’empereur Henri VI va partir en guerre contre les Guelfes emmenés par Henri le Lion, dont le fils, Henri de Brunswick (ça fait beaucoup d’Henri !) est fiancé avec Agnès de Hohenstaufen, cousine de l’empereur. L’union semble très compromise par la guerre qui s’annonce. L’ambassadeur du roi de France propose alors de marier Agnès à son roi, Philippe-Auguste (qui se cache en réalité sous les traits de l’ambassadeur, vous voyez d’ici le tableau), ce que l’empereur finit par accepter lors d’une grande fête. Voyant sa fiancée fricoter avec celui qu’il croit être l’ambassadeur de France, Henri –libéré entretemps- cherche querelle à ce dernier et se trahit devant toute la Cour. L’empereur le condamne à mort et ordonne à Agnès de se retirer dans un couvent. Mais ce faisant, il provoque la colère des princes allemands.
On propose à Henri la liberté et l’exil s’il renonce à Agnès, ce qu’il refuse avec hauteur, d’autant que la révolte des princes gronde et lui donne l’occasion de tenter l’évasion. Mais il est arrêté et, au lieu d’être exécuté sur le champ, devra se battre en duel avec l’ambassadeur de France –donc Philippe-Auguste. Les nobles allemands conseillent en vain à Henri de s’échapper, mais au lieu de cela, il se précipite au couvent où Agnès doit prononcer ses vœux et obtient de l’archevêque de Mayence qui se trouve opportunément là, de les marier en secret. Ils projettent de fuir, mais Henri pousse Agnès à le précéder pendant qu’il suivra son père à la guerre contre l’empereur. Pendant ce temps, le fameux duel se prépare. C’est le frère de l’empereur, ami d’Henri, qui, croyant ce dernier en fuite, propose de le représenter contre l’ambassadeur de France. Mais les chevaliers amènent Henri et Agnès, arrêtés près du couvent. Accusé de lâcheté, Henri décide de se battre contre l’ambassadeur sur lequel il prend l’ascendant et qu’il blesse, faisant intervenir les chevaliers français, qui indiquent qu’il s’agit là de leur roi. Henri lâche son arme et implore le pardon impérial, soutenu par Philippe-Auguste lui-même. Mais Henri VI reste inflexible. Les princes allemands finissent par le menacer physiquement s’il continue à s’opposer à l’union des deux jeunes gens. Henri le Lion (le père d’Henri) surgit alors, ajoutant à la confusion. Il jure finalement fidélité à l’empereur, levant ainsi tous les obstacles au happy end (ouf !).
Spontini n’obtient pas un triomphe, lui qui doit affronter l’animosité des compositeurs allemands. Il le regrettera toujours amèrement, d’autant qu’il n’aime guère qu’on le compare à ses contemporains italiens : « Je n’écris pas comme ces spéculateurs, pour l’argent et le temps présent dira-t-il à l’un des ses amis bien des années plus tard. Dans Agnès, j’ai développé ma pensée immense, le projet d’un opéra majestueux, le grand opéra dont j’ai toujours rêvé, un opéra de l’avenir ».
Opéra de l’avenir ? L’œuvre est monumentale et admirable mais tombera vite dans l’oubli après ses 19 représentations berlinoises. C’est le Mai musical florentin l’en sortira dans une traduction italienne plus d’un siècle après la mort de Spontini. C’est un extrait de cette soirée historique de 1954 que je vous propose ici, avec le finale de l’œuvre, où l’on peut notamment entendre le jeune Franco Corelli (33 ans), sous la direction de Vittorio Gui. Le son est précaire, mais l’ambiance électrique !