En plein triomphe de Nabucco, la Scala de Milan commande sans attendre une nouvelle œuvre à la nouvelle star de l’univers lyrique, Giuseppe verdi. L’enthousiasme de l’impresario du théâtre, Merelli, amène même la maison milanaise à donner carte blanche au compositeur, contre 6800 francs de l’époque, somme rondelette. Verdi se tourne alors vers le librettiste de Nabucco, Temistocle Solera, pour lui trouver un argument propre à réitérer le coup de maître. Solera propose d’adapter un poème de Tommaso Grossi, I Lombardi alla prima crociata. On reste – en partie – en terre sainte, mais on change d’époque. Verdi accepte, mais comme d’habitude, soumet son librettiste à rude épreuve (Solera l’appelait d’ailleurs « le tyran »), l’enfermant même à double tour jusqu’à ce qu’il soit satisfait de certains passages, selon les faits rapportés par le biographe Pougin et qui ont pu être vérifiés à d’autres reprises. Une fois le livret – très patriotique – écrit, et la partition presqu’achevée, il faut le soumettre à la censure autrichienne et épiscopale. L’idée même de représenter des processions et autres scènes religieuses retourne l’estomac de l’archevêque de Milan, Mgr Gaisruck, qui va dénoncer cette horrible perspective au préfet de police tel l’Agnan du Petit Nicolas. A la Scala, tout est prêt. La perspective d’une interdiction échauffe les esprits et Verdi s’entête : « On le jouera tel qu’il est ou on ne le jouera pas du tout ». Le préfet Torresani finit par céder contre un minuscule changement : on ne chantera pas un Ave Maria, mais un Salve Maria. L’honneur de la Sainte Eglise catholique apostolique et romaine est sauf… et le préfet tranquillisé, mesurant le danger de provoquer des troubles s’il avait persisté. Le soir de la création, il y a 175 ans, le triomphe est comparable à celui de Nabucco, malgré un livret dont on doit bien dire qu’il est très tarabiscoté… Mais quelle musique ! Verdi y confirme un génie mélodique et dramatique qui ne lui fera plus quitter le haut de l’affiche.
Cent cinquante ans après la première, succédant à Carlo Guasco, le créateur du rôle d’Oronte, le grand Luciano Pavarotti mettait le public à peu près dans le même état au Metropolitan Opera de New York, dans le finale du 1er tableau de l’acte II.