Terriblement exigeant envers lui-même au point de détruire nombre de ses partitions, Paul Dukas n’a laissé à la postérité qu’une seule œuvre lyrique achevée et devenue rare sur les scènes, Ariane et Barbe-bleue, créée à l’Opéra-Comique le 10 mai 1907. Le livret de Maurice Maeterlinck, qui avait déjà frappé avec Pelléas et Mélisande quelques années plus tôt, s’inspire librement du conte de Perrault et centre l’action sur Ariane, sixième épouse de Barbe-Bleue. Ce n’est pas par hasard : cette fois, pas question de faire obstacle à sa femme, Georgette Leblanc, pour tenir le rôle-titre comme Debussy avait osé le faire pour Pelléas ! Il en résulte un poids écrasant pour la soprano à qui il faut une voix bien charpentée pour affronter les redoutables obstacles du rôle. Georgette Leblanc fut d’ailleurs beaucoup critiquée, mais pas la partition, fascinante et mystérieuse quoique fort différente du lointain modèle Pelléas que certes Dukas admirait mais dont il n’a nullement cherché à faire une sorte d’avatar, trouvant son propre langage, plus dense et pour tout dire plus lumineux.
Parmi les rares productions récentes de ce chef d’œuvre très méconnu, celle du Liceu de Barcelone en 2011 mérite d’être distinguée pour ses interprètes José van Dam en Barbe-Bleue et Jeanne-Michèle Charbonnet – qui alternait avec Eva-Maria Westbroeck – en Ariane, sous la baguette d’un maître ès répertoire français, Stéphane Denève et dans la mise en scène – très critiquée – de Claus Guth. Ici, la fin du premier acte, lorsque Barbe-Bleue surprend Ariane qui cherche à aller à la rencontre de ses 5 prédécesseuses enfermées dans un souterrain et veut la punir. L’intervention des paysans, qui soupçonnent Barbe-Bleue d’être ce qu’il est et veulent le lyncher, est suscitée par la Nourrice, qui cherche à protéger Ariane. Mais celle-ci affirme que son mari ne lui a fait aucun mal.