Vanessa va-t-il sortir du purgatoire ? Il est étonnant d’avoir attendu aussi longtemps pour créer en Île de France – pour ne pas dire à Paris où cette production devrait absolument être présentée – un opéra déjà si rarement donné (création française à l’opéra de Metz en 2000, et joué à l’opéra national du Rhin en 2003).
« C’est l’histoire de deux femmes, Vanessa et Erika, prises dans le dilemme central qui se pose a chaque être humain : se battre pour ses idéaux au point de se couper de la réalité ou trouver un compromis avec ce que la vie a à offrir, même en se mentant a soi-même par simple amour de la vie. Comme un morose chœur grec, une troisième femme (la grand-mère) condamne par son silence obstiné le premier refus de Vanessa, puis celui d’Erika, a accepter l’amère vérité que la vie n’offre pas d’autre solution que sa propre lutte intérieure. Lorsque Vanessa, dans son empressement final à embrasser la vie, réalise cette vérité, il est peut-être trop tard. » Ainsi Menotti présente-t-il sa propre vision de l’œuvre dans la préface de l’opéra. On se rend compte en lisant ce texte du poids fondamental de ces trois femmes qui, comme la mère, la tante et la servante qui entouraient Barber dans son enfance, remplaçant un père médecin trop absent, coulent sur toute la maisonnée une chape dont elles-mêmes ont bien du mal à s’extraire.
Les hommes, face à elles, n’ont pas un rôle très valorisant : un jeune homme qui hésite à se déterminer, un médecin qui se demande pourquoi il a embrassé cette carrière, un pasteur et des domestiques peu impliqués. Et tout ce petit monde s’agite dans un univers clos où les échanges verbaux alternent avec les silences criant des non dits. La maison étouffante, le froid extérieur, le lac tout proche, l’égoïsme et l’inconscience des uns, l’incommunicabilité et le mutisme des autres, on ne peut s’empêcher de penser au film d’Ingmar Bergman, Cris et chuchotements (1972), qui fut tourné dans un manoir de Mariefred donnant sur le lac Mälar (Suède). La nature, belle mais froide et sévère, y est tout aussi prégnante que l’intérieur étouffant de la maison, entièrement repeint en rouge sombre, où quatre femmes – dont une est en train de mourir – abordent les thèmes essentiels de la vie, espacés des visites sporadiques du médecin. Mais il y a Ingrid Thulin et Liv Ullmann…
C’est peut-être là que se situe le seul déséquilibre de cette belle représentation : alors que vocalement, on ne peut rien reprocher à Yun Jung Choi (Vanessa), on ne peut pas dire qu’elle soit le personnage : elle a de la présence, mais elle reste trop monolithique, et n’exprime guère les contradictions du rôle. Il eut fallu plus de distanciation. Il est vrai qu’à sa décharge, le rôle a été tellement marqué par Eleanor Steber qu’on a encore du mal, cinquante ans après, à imaginer Vanessa autrement qu’en femme d’une bonne quarantaine d’années. Face à elle, l’Erika de Diana Axentii est plus convaincante tant vocalement qu’au niveau de son expression. Quant à Hélène Delavault, elle est tout simplement magnifique de présence aussi bien vocale que muette. Son retour dans le mutisme, au dernier acte, est un grand moment de théâtre. Thorbjorn Gulbrandsoy (Anatol), a une jolie voix entre ténor et baryton Martin, dont il use très musicalement, avec retenue. Jacques Bona donne une interprétation très humaine du docteur et de ses interrogations existentielles, tout en le chantant fort joliment. Aurélien Pernay (Nicholas), a également une belle présence vocale et scénique. Tous les acteurs et figurants qui complètent la distribution sont parfaits.
Après le plateau, le deuxième point fort de la soirée est l’Orchestre-Atelier OstinatO que, l’on n’avait jamais entendu dans une forme aussi éblouissante. Il faut dire que la direction du jeune chef Iñaki Encina Oyón est d’une rare qualité, qui mêle précision de la battue à une constante attention tournée vers les chanteurs et vers l’équilibre entre la fosse, les solistes et les chœurs, dont le meilleur exemple est le beau quintette avec ses entrées successives. Enfin, troisième point fort, le travail scénique, qui repose sur les magnifiques décors et costumes de Christophe Ouvrard, les lumières particulièrement soignées d’Alexandre Ursini, et bien sûr la mise en scène inventive et parfaitement en situation de Bérénice Collet, dont on apprécie tout particulièrement la direction d’acteurs. Et l’on retiendra notamment la scène finale qui voit la maison tout entière se refermer sur Erika. Du bien beau théâtre.
Note : ne manquez pas de consulter le remarquable dossier pédagogique PDF préparé par le service de l’action culturelle de la Ville d’Herblay avec l’aide de plusieurs musicologues et spécialistes, et qui ne s’adresse pas qu’aux élèves, en tapant sur votre moteur de recherche « Vanessa dossier pédagogique ».