Fidèle à sa tradition de curiosité, le Festival de Radio-France Montpellier Languedoc-Roussillon nous offre un premier opéra presque totalement oublié, malgré trois enregistrements fort anciens et médiocres : Zingari, de Leoncavallo. Sans doute, la critique du temps, qui n’a voulu y voir que le décalque de I Pagliacci, n’est-elle pas étrangère à cet oubli, d’autant que le vérisme semble passé de mode, avec son expressivité singulière, ses outrances aussi.
L’ouvrage lyrique est donné après une autre découverte, les Scènes napolitaines de Massenet, Zingari ne durant que 65 minutes.
Vingt mesures d’introduction et le décor est planté. Le chœur d’ouverture, hymne au soleil couchant, où les tziganes vont cesser leur travail de ferronnerie, est troublé par la découverte d’un couple qui s’embrasse au bord du fleuve, caché par les roseaux. Le Vieux, chef du clan, puis Tamar, dont on mesure déjà l’amour qu’il porte à Fleana, fille du chef, assistent à la prise des captifs : Fleana aime Radu, prince étranger, que le Vieux admet dans le groupe, malgré son rejet par la communauté. Les noces auront lieu le soir même. Auparavant, un magnifique duo d’amour, troublé par l’hostilité de Tamar, sera chanté par les deux amants. Un splendide nocturne orchestral, avec une flûte très poétique, conclut le premier tableau. Un an après, ce qu’omet de signaler le livret distribué, tout a changé. L’intermezzo instrumental tourmenté prélude au second tableau. Radu est jaloux, et ses soupçons croissent à mesure que Fleana lui exprime son détachement, puis son mépris. Fleana refuse les questions et Radu se lamente. Tamar, débordant d’amour chante un beau nocturne auquel la belle n’est pas insensible. Profitant du sommeil de son mari, elle le rejoint. Leur duo fait pendant à celui du premier tableau, aussi passionné et juste. Radu, réveillé, entraîne Fleana dans une cabane de branchages où est caché Tamar. Il en ferme la porte et l’enflamme. La conclusion, flamboyante dans tous les sens du terme, diffère quelque peu de la version première, éditée par Sonzogno. Dans celle-ci, le Vieux, d’une autorité bienveillante, bien que meurtri dans sa chair, s’oppose à son clan qui réclame la mort de Radu (« laissez-le ! Il est fou ! »). Ce soir, le suicide de Radu se substitue à cette scène. Si l’intensité dramatique y gagne, la magnanimité du père de Fleana, déjà soulignée, s’amenuise. Chacune des lectures se justifie.
Oserions-nous l’avouer : l’œuvre paraît supérieure à I Pagliacci. Si les similitudes apparentes sont multiples, l’action y est resserrée à l’extrême, ménageant des moments de grâce, de splendides pages belcantistes aussi, à l’expressionisme général, avec les emprunts à la musique tzigane qui se démarquent de la citation couleur locale. Le langage direct, propre à séduire un large public, n’ est pas moins fouillé, subtil, dans une orchestration somptueuse et raffinée.
Zingari, Montpellier, 15 juillet 2014 © Marc Ginot
Michele Mariotti, grand chef lyrique dont on lira l’interview par ailleurs, magnifie, cette partition : le dynamisme, le modelé qu’il obtient des chœurs et de l’orchestre sont exemplaires. Le courant passe. Il aime cette œuvre qu’il défend avec conviction. Aucun soliste ne démérite. Soulignons l’extraordinaire performance de Danilo Formaggia (Radu), ayant réussi en trois jours à apprendre son rôle – Steffano Secco ayant fait défaut – et à sauver ainsi cette exceptionnelle production. Un engagement total, un beau timbre, une émission égale dans tous les registres, un sens dramatique naturel, tout est là (« Principe ! Radu io son »… « Ho, perduto la pace » sont des moments de grâce) . La Fleana de Leah Crocetto est puissante, d’un beau timbre, projection et longueur du souffle d’exception. Remarquable « Addormentarmi » du premier tableau, duos et récits non moins intéressants. Une forte femme, dans tous les sens du terme, dont la corpulence amoindrirait – hélas – la crédibilité du personnage dans une version scénique. Fabio Capitanucci est un Tamar convaincant, malgré une émission voilée, particulièrement dans son « Taci non dir », angoissé. Méforme ? Le « Canto notturno » du second tableau passe beaucoup mieux. Sergey Artamonov incarne le Vieux avec autorité et bonté : voix exceptionnelle, puissante, bien timbrée, d’un modelé et d’une projection admirables.
Quelle maison d’opéra prendra maintenant le risque d’en réaliser une version scénique propre à séduire le plus large public ? L’œuvre le mérite pleinement.