Le tandem Claude-Henri Bonnet/Olivier Bénézech est friand des pépites de Broadway. Après Follies et Sweeney Todd de Stephen Sondheim, c’est Wonderful Town, monté pour la première fois en France, qui permet de fêter avec panache le centenaire de la naissance de Leonard Bernstein. Quatre ans avant West Side Strory, le compositeur s’y livre à une superbe déclaration d’amour à New York, comme ce sera le cas régulièrement au cours de sa carrière. Ce regard tendre n’empêche pas la satire de l’American dream qui nuance joliment le propos : « What a waste » (quel gâchis) chantent les protagonistes pour évoquer tout ces artistes débutants montés comme eux à la ville chercher succès, fortune et demeurant obscurs, confinés dans des travaux subalternes.
L’équipe artistique a travaillé avec autant d’intelligence que de fantaisie pour donner à voir tous les codes visuels d’une Big Apple fantasmée, sur laquelle chacun projette ses propres aspirations. Frédéric Olivier a conçu 250 costumes qui sont autant de clins d’oeil aux clichés de l’Amérique : touristes texans en goguette, sioux à la Village People, silhouettes afro ou « peace and love »… C’est un réjouissant syncrétisme de toutes les époques dont le mauvais goût assumé, entre paillettes et rouflaquettes, réjouit l’oeil.
Luc Londiveau et Gilles Papain ont crée une scénographie efficace et éminemment séduisante. Elle permet de basculer aisément de l’intimité d’une mansarde miteuse aux tableaux d’ensemble qui nous font sillonner la ville entre gratte-ciel et placettes. La projection vidéo en fond de scène fonctionne parfaitement, sans placage. Telle une grande fenêtre sur la ville, elle ajoute un charme singulier à l’évocation de la mégalopole américaine.
La bluette qui sert de trame au spectacle est rendue avec beaucoup de fraicheur par une équipe de spécialistes de comédie musicale à dominante anglo-saxonne. Olivier Bénézech les dirige avec intelligence et finesse, assumant la naïveté fifties de la pièce, travaillant le naturel, la fluidité des transitions du parlé au chanté et surtout le rythme, fondamental pour ce répertoire, avec une belle acuité. Les scènes parlées sont réglées au cordeau, comme ce diner irrésistible de drôlerie, où chacun, gêné, cherche désespérément quoi dire. L’ensemble du plateau jouit d’une prononciation impeccable, tous sont d’excellents comédiens-danseurs-chanteurs.
Jasmine Roy (Ruth) et Rafaëlle Cohen (Eileen) campent les deux sœurs venues chercher fortune à New York, regrettant leur province natale dans un duo connu « Why, o why Ohio » qui met en valeur l’assorti de leurs timbres. « Le ragtime de la fausse note » est l’occasion d’un nouveau duo tout aussi réussi doté du même humour.
Jasmine Roy est une épatante « performeuse » qui bénéficie de plusieurs moments forts de la partition. Allergique aux bonnes nouvelles, elle nous donne « 100 ways to loose a man » (100 moyens de perdre un homme). La voix n’est pas très percussive mais joliment posée, très naturelle, avec de beaux graves. La présence très juste et émouvante et assume parfaitement l’absurde de certaines scènes comme le « gesundheit »
Rafaëlle Cohen lui donne la réplique, minaudant à plaisir sous son improbable brushing à la Farah Fawcett. La voix manque parfois très légèrement de rondeur, sans que ce soit tellement gênant puisque cela colle au style. Surtout, elle assume son rôle de charmante écervelée avec un engagement total, ce qui la rend touchante. Ses talents de comédienne lui permettent d’ailleurs une carrière complémentaire au cinéma. Face aux deux soeurs, Maxime de Toledo est un géant sympathique au timbre séduisant, le vibrato est un peu large, les registres gagneraient à être harmonisés mais la voie est bien projetée.
Si la sonorisation n’est pas toujours parfaitement calée, les nombreux seconds plan sont impeccables et les 12 danseurs de Johan Nus complètent avec bonheur cette distribution pléthorique, apportant une formidable énergie à l’ensemble et quelque contrepoints plein de poésie comme ce couple qui valse lorsque Robert se découvre amoureux.
L’Orchestre de l’Opéra de Toulon étoffé à près de 60 musiciens est, quant à lui, bluffant de crédibilité avec une mention spéciale au pupitre des cuivres qui est ici à la fête. La phalange est menée avec maestria par Larry Blank, spécialiste de ce répertoire. Il dirige avec souplesse une partition réjouissante, au swing contagieux, qui gagne à être (re)découverte.