Adapté du récit éponyme de la chercheuse et autrice féministe égyptienne Nawal El Saadawi, Woman at Point Zero, présenté en création mondiale au Festival d’Aix-en-Provence, raconte le sort des femmes. Amenée à la prostitution parce que tout l’y menait, Fatma a été emprisonnée pour avoir assassiné un homme – un proxénète. Toutefois, d’après Fatma, si elle est en prison, ce n’est pas pour avoir abstraitement tué mais bien d’abord parce qu’elle est une femme – prostituée, de surcroît –, une femme qui a tué un homme. Le récit qu’elle livre à Salma, réalisatrice intervenant en milieu carcéral, n’est pas le sien. C’est le drame de toutes les femmes prises dans un monde d’hommes, un monde qui semble n’offrir que deux issues : le meurtre ou le suicide. Il existe pourtant peut-être une troisième voie – et c’est celle qui est suggérée à la toute fin du livret –, manière de souligner la nécessité d’un opéra et, peut-être plus largement, de tout art politique :
Je ne peux pas.
Khalas. C’est tout.
N’êtes-vous pas l’artiste ? La cinéaste ?
Pourquoi ne pas faire quelque chose sans douleur, sans souillure,
sans tache de sang et de sueur.
Imaginez quelque chose…
Quelque chose…
De beau.
Malgré la prison – univers hostile et laid par définition, institution abjecte par excellence – dans laquelle se déroule le dialogue entre les deux femmes, un cocon se tisse. Dans cet univers clos mais protecteur, on se construit, on prépare la vie. La scène est quadrillée de fils qui rappellent les barreaux mais qui, en dernière instance, sont peut-être avant tout les instrument d’une évasion possible. Autour de ce cocon – ou, plus exactement, au sein même de son enveloppe –, prennent place les musiciens de l’Ensemble ZAR et, à leur tête mais placée de côté, Kanako Abe. La palette sonore est variée et mobilise des instruments issus de traditions musicales très différentes (perse, japonaise, coréenne, slovène, occidentale…). Les musiciens comme la cheffe d’orchestre constituent également le chœur qui commentera l’action, rappelant ainsi qu’un cocon n’est jamais parfaitement étanche au mal du monde qui l’entoure. La partition de Bushra El-Turk offre des moments de grandes intensité et précision rythmiques, soutenus par la battue énergique de Kanako Abe, qui contrastent avec des moments plus libres, permettant parfois une part d’improvisation.
© Jean-Louis Fernandez
Dima Orsho est une Fatma touchante et convaincante. Formée à l’opéra comme à la musique arabe classique ou au jazz, elle exploite habilement ces influences et double sa performance musicale d’un jeu d’actrice fluide quoique parfois stéréotypé. La Sama de Carla Nahadi Babelegoto chante peu mais offre quelques beaux moments lyriques.
Manière d’ancrer un dispositif nécessairement fictionnel dans le réel, Laila Soliman a pris le parti d’intégrer des extraits d’un documentaire sur la situation de femmes emprisonnées en Égypte pour les mêmes raisons que Fatma, ainsi que des témoignages. Le dispositif vidéo réalisé par Julia König et Bissane Al Charif offre un intérêt incontestable et permet l’interpénétration de plusieurs voix, plusieurs lieux et plusieurs temps qui, pourtant, racontent la même histoire. Parfois au détriment de la lisibilité globale.
Création importante, Woman at Point Zero fait le récit d’une violence systémique au Moyen-Orient qui peut, très certainement, être transposée au monde occidental (ce que la mise en scène a délibérément évité). À tout le moins, une violence paroxysmique peut-elle peut-être éclairer une violence non moins dangereuse mais moins visible et, dès lors, plus insidieuse.