Un nouveau Werther est né sur la scène du Royal Opera, et un nouveau Vittorio Grigòlo également. Le ténor italien nous offre en effet une composition remarquable de ce caractère tourmenté, dont il fait un personnage fougueux, d’un romantisme ardent, à la limite de la violence, à l’opposé de la vision d’un suicidaire neurasthénique. La voix est puissante, superbement projetée, et l’aigu ne pose aucun problème (avec un si naturel à la fin de « Lorsque l’enfant » à faire trembler les murs). La diction est remarquable, les erreurs d’accent rarissimes. Les alternances forte et piano, dont le chanteur a pu abuser autrefois, sont mises magnifiquement au service du texte, en particulier au dernier acte, absolument passionnant dramatiquement et musicalement (reconnaissons que, dans pas mal d’interprétations, la tension retombe souvent après l’acte III). Le jeu théâtral est fort, mais maîtrisé, sans aucun débordement histrionique. A titre d’exemple, le duo de l’acte III est un véritable affrontement physique entre les protagonistes, comme si Werther cherchait la provocation qui justifiera son suicide.
Une telle réussite n’aurait pas été possible sans une osmose parfaite avec la direction d’Antonio Pappano, rapide, tendue, haletante, délicate aussi au besoin (comme dans le magnifique prélude où il fait ressortir les contre-mélodies des différents pupitres). Le chef britannique concilie ainsi admirablement théâtralité et musicalité tout en portant les chanteurs. Depuis le retrait de James Levine, Antonio Pappano est certainement le plus grand directeur musical d’opéra actuel, et de loin. Seul bémol : une formation orchestrale qui peut encore progresser. Joyce DiDonato est apparue également métamorphosée par rapport à sa prise de rôle parisienne. La prononciation est mieux maîtrisée et les éventuelles duretés dans les aigus sont ici utilisées dramatiquement pour renforcer le désespoir de l’héroïne. L’alchimie entre les deux protagonistes est ainsi parfaite, un véritable choc dramatique.
© Royal Opera House
Des seconds rôles, on retiendra l’excellent Schmidt de François Piolino. Heather Engebretson campe une Sophie plus délurée qu’à l’ordinaire, avec une attention intéressante apportée aux mots et aux couleurs, mais reste avare de piani dans ce rôle aérien. David Bizic est un Albert correctement chantant mais un brin monolithique et le vétéran Jonathan Summers un Bailli plein d’humanité.
Bien connu des spectateurs parisiens, la production de Benoît Jacquot avait été initialement créée à Londres. Sur cette scène de taille réduite, elle apparaît bien plus classique que l’épure dont nous avons l’habitude à Bastille. Le jeu des interprètes (y compris et surtout celui des seconds rôles) est également plus vivant, réaliste. Visuellement, les chanteurs nous sont plus proches et la scène finale, avec cette chambre sur laquelle tombe des gros flocons lumineux comme des lucioles est sans doute plus émouvante qu’à Paris.