Lea Desandre, Thomas Dunford et l’Ensemble Jupiter nous conviaient, hier soir, salle Gaveau, à une promenade musicale à travers les titres de l’album récemment édité chez Alpha Records. Sous le haut patronage de l’écrivain Eric Orsenna, en maître de cérémonie d’un soir, et avec la complicité de William Christie, jouant les guest stars au clavecin, le récital nous a permis d’apprécier in vivo ce qui, à l’écoute du disque, donnait corps à merveille aux timbres coruscants et à l’incroyable modernité de la musique de Vivaldi.
Si la musique vivaldienne a brillé de tels feux hier soir, c’est encore grâce à la parfaite symbiose musicale entre la mezzo-soprano Lea Desandre, d’une étonnante maturité pour ses 26 printemps, et les musiciens de Thomas Dunford réunis dans l’esprit de la musique de chambre et l’alliance ancestrale de la voix et du luth. Et à l’écoute du récital, comme à celui du disque, on saisit pleinement que ces jeunes artistes sur scène respirent d’un même souffle et d’un même enthousiasme, en totale communion. Dirigés du luth par Thomas Dunford, les musiciens de l’Ensemble Jupiter sont viscéralement habités par cette musique qui les accompagne depuis leurs plus jeunes années. On est d’emblée frappé par la vitalité de l’exécution et l’harmonie sans faille qui les animent à faire vivre l’art de la recomposition, celui de ne pas rendre immédiatement reconnaissable les airs, pour mettre l’accent sur la modernité des compositions. A ce jeu là, l’Ensemble Jupiter excelle. Le basson de Peter Whelan et le violoncelle Bruno Philippe éblouissent par la fluidité et le caractère quasi méditatif de leur interprétation porté par le souci constant du détail. Quant à Thomas Dunford, c’est par la subtilité de son jeu et la délicatesse de l’ornementation sans effets inutiles et exagérés qu’il se distingue.
Lea Desandre n’en finit pas de nous séduire. La mezzo-soprano dénoue souplement cette voix au grave dramatique, au médium moelleux finement ornementé. Les aigus sont épanouis et lumineux. Il y a du velouté et du sensuel à chaque phrase musicale dans ce timbre suave et moiré. La ligne de chant est fluide et limpide, sans heurts. La diction d’une grande clarté et un travail détaillé sur les intonations confèrent beaucoup de théâtralité à son interprétation. Elle chante et habite pleinement les personnages auxquels elle donne corps dans la chair de sa voix. Judith en est une belle illustration qu’elle anime d’un feu sacré dans « Veni, veni sequere fida » et qu’elle peut également colorer d’une tristesse mélancolique pour exprimer tout le poids de son vécu. Son air d’Anastasio « Vedro con mio diletto » est particulièrement poignant, tout comme le « Cum dederit » qui convoque l’émotion. Ce qui nous a interpellé au disque prend ici un tour vivant dans ses phrasés, legati et crescendi, qui suspendent le temps dans une éternité sacrée.
Et c’est avec la complicité d’un William Christie visiblement ravi de se fondre comme instrumentiste dans l’Ensemble Jupiter, que le programme s’achève sur cette réjouissante composition originale de Thomas Dunford, We are the Ocean, chanson inspirée par les rythmes dansants de la musique de Vivaldi, mais avec un swing venant du jazz, illustrant cette connivence totale entre les artistes, si vivace, si palpable sur scène. Un concert en forme de feu d’artifice dont le fil conducteur est le plaisir évident de faire de la musique ensemble. Cette symbiose musicale entre de jeunes artistes a visiblement conquis le public. Source inspiratrice du disque, elle est à l’évidence la force motrice de cette soirée en tout point réussie.