Comme on s’y attendait, le premier grand concert lyrique du festival Berlioz dans la cour du château Louis XI a frappé fort. Afin que cet événement live soit partagé et perdure, France musique y a installé ses micros. Avant de monter sur le podium, l’œil rieur et la mèche en bataille, le directeur musical Daniel Kawka présente le concert qui sera court mais dense. Le programme célébrant le grand opéra romantique français avec son cortège de visions imprégnées de surnaturel va tenir le public en haleine.
Exécutée par l’Orchestre OSE ! – Il porte bien son nom – l’ouverture mystérieuse et lancinante de La Nonne sanglante mise en musique par Gounod est disséquée dans un impressionnant fracas instrumental. Ce qui fait qu’en dépit d’une diction impeccable et d’une projection adéquate, la voix puissante de Vincent Le Texier dans l’air de Pierre L’Ermite « Arrêtez chrétiens », peine à s’imposer.
Puis, avec une ligne de chant conduite avec maestria, incluant des élans passionnés et la classe qui la caractérise, Véronique Gens chante en roulant très légèrement les « r » – comme il convient au style de l’époque. D’abord, l’air « Je ne suis qu’une pauvre enfant » de la cantate Geneviève d’Alfred Bruneau où elle est admirable de pudeur et de simplicité. Tandis que par la suite, dans un chant aérien délicatement soutenu par une harpe, « Rêve infini, divine extase » de l’oratorio de Jules Massenet, La Vierge, transparait la ferveur et l’élan mystique de l’Assomption de Marie.
La cavatine « À vous, ma mère » de l’Opéra de Gounod, Cinq-Mars, nous permet de découvrir le ténor mozartien Mark Van Arsdale formé aux États-Unis. Son air « Ô tendresse glacée », exalte sans pathos l’amour filial ; sa musicalité, son timbre velouté, sa capacité à émouvoir nous séduisent d’emblée.
Dommage que durant cette première partie, où l’on a entendu des extraits d’œuvres saisissantes de l’époque romantique, nous ayons eu à regretter que les voix de ces trois excellents chanteurs aient été partiellement couvertes par des instruments tonitruants. Le défaut d’acoustique in situ que l’enregistrement radiophonique a su corriger sera d’ailleurs bien moindre à nos places après l’entracte.
© Bruno Moussier
Quelques mois seulement séparent le bicentenaire de la naissance de Gounod et le cent-cinquantenaire de la mort de Berlioz. À l’heure du récent retour triomphal inopiné (après plus d’un siècle et demi aux oubliettes) de La Nonne sanglante de Gounod (1854) à l’Opéra-Comique en juin dernier, il était temps de rappeler que ce livret de Scribe lui avait été à l’origine commandé par Berlioz. Et, outrepassant la mention « À consulter et à brûler après ma mort », il paraissait légitime et intéressant de faire entendre les fragments conservés à la Bibliothèque Nationale au festival de La Côte-Saint- André.
Comme on ne le sait pas assez, l’’abandon de La Nonne sanglante fut pour Berlioz une douloureuse affaire. Dès 1839, il avait demandé à Scribe « Une simple histoire d’amour, mais d’amour violent, permettant des déploiements musicaux larges et passionnés, des effets imprévus, des scènes de terreur… ». En octobre1841, après avoir réceptionné le premier acte, confiant, Berlioz écrit à sa sœur : « Mon opéra est en train … Reçu avec contrat et traité en bonne forme…». Sans aller plus avant dans des péripéties et tractations qui dépasseraient le cadre du présent compte rendu, nous ajouterons que c’est en se sentant trahi et méprisé que Berlioz a fini par tourner le dos à un projet qu’il considérait enterré à jamais.
Ayant repris place – après l’ouverture de La Dame Blanche très enlevée par Ose ! –, nous retenons notre souffle. Le « coup de théâtre » qu’on attendait, c’est maintenant. Nous sommes comblés. Les fragments rescapés mis ainsi en musique recèlent des trésors. Musiciens et chanteurs sont en lévitation. Chacun donne le meilleur de lui-même. Le Texier descend au plus profond de sa tessiture. Gens trouve des accents plus bouleversants que jamais. Van Arsdale surprend par ses flots de tendresse et ses notes de haute-contre. Même les mots du poème de Scribe serrent le cœur. Il semble que l’amour peut tout vaincre, y compris le désespoir. On comprend mieux encore la beauté des Troyens. Berlioz est là, sur ses terres, avec tout son génie. Et, le public de ce festival qui le célèbre chaque année applaudit calmement comme si c’était tout naturel.