Isolé au milieu des éclairs, le théâtre de la Passion, à l’insonorisation sommaire, laisse percevoir le déchaînement d’un violent orage qui se mêle à la violence tout aussi déchaînée de l’orchestre et des chœurs. Aux coups de tonnerre répond la grosse caisse, avec un synchronisme confondant. Gustav Kuhn est particulièrement à son aise avec le Requiem de Verdi qu’il dirige régulièrement (par exemple ici même en 2011), et qu’il mène d’une battue rapide et précise, avec tout l’éclat nécessaire et une grande dynamique sonore, notamment dans le Dies irae et le Tuba mirum, avec ses trompettes apparaissant par des portes latérales donnant sur la nature en furie battue par la pluie, ou le Libera me. Résolument plus théâtrale et wagnérienne que religieuse, son interprétation sait néanmoins également faire alterner des moments pianissimi, comme au début du Requiem aeternam, ou plus élégiaques et éthérés, mettant en valeur une belle formation chorale.
Selon son habitude, le chef a disposé les quatre solistes au milieu des chœurs, en légère surélévation. Les voix choisies cette année justifient cette disposition, et globalement, leur perception est plutôt bonne, permettant de juger de l’équilibre fort réussi des quatre tessitures. Parmi celles-ci, la mezzo russe Svetlana Kotina se détache nettement, par son aisance, la puissance tranquille de sa belle voix et les inflexions qu’elle lui donne. Ses entrées, notamment dans le Recordare, le Lacrimosa, l’Offertorio et le Lux aeterna, sont de toute beauté. La basse Andrea Silvestrelli est lui aussi très à son aise, et même si sa voix sonne parfois paradoxalement plus russe qu’italienne, il donne à son interprétation une humanité profonde.
On n’est pas au même niveau avec Alessandro Liberatore, qui est le seul à oublier qu’il s’agit quand même d’une œuvre religieuse, et y privilégie le côté grand opéra. Ce qui ne serait que péché véniel si l’Ingemisco ne se gâtait, comme ses autres interventions, au bout de quelques mesures, en raison d’un voix trop ouverte, d’une incapacité à utiliser la voix mixte, et surtout d’une justesse tout à fait relative. Anna Princeva, enfin, jeune soprano russe, est certainement programmée trop tôt dans cette œuvre qui nécessite des qualités qu’elle n’a pas encore, notamment en termes de puissance, ce qui l’oblige à poitriner fréquemment. Parfois difficilement audible dans le Libera me, elle sauve la mise par sa fraîcheur, sa sincérité et sa musicalité, là où l’on est plus habitué à entendre de grandes et tonitruantes soprano verdiennes.