Pour sa XXIIe édition le Festival Rossini de Bad Wildbad est confronté comme ses semblables au contexte économique morose. On avait craint, au vu de certaines photographies, que cela n’ait produit une version racoleuse où la recherche effrénée d’effets comiques grand public écraserait la délicatesse de La Cenerentola. Fort heureusement, si le giocoso tend à l’emporter sur le dramma, la production reste cependant équilibrée. Certes souvent les costumes de Claudia Möbius tirent vers la BD ou les dessins animés et les maillots des choristes rameutent une actualité tout autre qu’artistique mais la mise en scène signée Jochen Schönleber respecte toujours la musique et ce n’est pas, de nos jours, un mince mérite. L’ingéniosité supplée à la modestie des moyens financiers, qui réduit les décors d’ Anton Lukas à des panneaux disposés en oblique, devant lesquels sont disposés quelques accessoires que l’on déplace à volonté, selon que l’on est chez Don Magnifico ou au Palais princier. La cheminée intégrée avec feu permanent se cache dans le vaste élément composé de caissons superposés qu’un pictogramme transforme en toilettes pour dames et où s’ouvre aussi la porte dérobée qui permet à Alidoro de surgir comme on apparaît. Enfin une estrade mobile sert de support au tableau final, le triomphe de la bonté.
Bruno Pratico, pour qui le rôle de Don Magnifico n’a plus de secret et dont la santé vocale semble pleine et entière, aussi bien pour la tenue et la longueur de souffle que pour les passages d’agilité, cède çà et là à son penchant pour des effets comiques que nous aimerions moins appuyés ; mais le triomphe que lui fait le public nous met en minorité. A ses côtés, une troupe de jeunes chanteurs aux mérites divers. Ainsi Ugo Rabec, plus convaincant scéniquement que vocalement, est un Alidoro dont les limites nous privent de l’air célèbre « Là del ciel nel arcano profondo ». Tisbe et Clorinda sont les chipies classiques, l’une nourrie de magazines people et l’autre accro à la gymnastique ; Svetlana Smolentseva et Isabel Rodriguez Garcia ont de l’aplomb, des voix bien projetées, mais les suraigus de la deuxième, qui hérite de l’air souvent coupé de Clorinda, sonnent fâcheusement stridents. Sans grand relief le Dandini de Bernhard Hansky, dont la voix ne s’ouvre vraiment qu’au deuxième acte où il est un partenaire honorable de Bruno Pratico dans leur duo d’agilité syllabée. Plus intéressant le ténor Edgar Ernesto Ramirez, qui soutient crânement les difficultés du rôle du prince ; le timbre n’est pas de ceux qui captivent, des sonorités nasales enlaidissent fugitivement l’aigu mais la souplesse est satisfaisante et la musicalité certaine. Enfin, dans le rôle-titre, Serena Malfi confirme l’impression donnée à Iesi dans Il Flaminio : il faut désormais compter avec elle pour jouer dans la cour des grands. Sans doute tout n’est pas au point, çà et là la justesse est frôlée, mais cette jeune chanteuse (qui pourrait passer pour la jeune sœur de Cecilia Bartoli car la structure de leur visage est très voisine) à la voix homogène, agile et mordorée nourrit son personnage d’une grâce et d’une sensibilité qui le rendent absolument irrésistible.
Antonino Fogliani conduit l’orchestre composé de musiciens rassemblés sous le nom de Virtuoses de Brnö. Ce n’est pas une sinécure pour lui, car si certains pupitres sont remarquables, comme les cors ou les flûtes, d’autres n’ont rien d’enthousiasmant. Dans ce contexte la présence envahissante du continuo d’Angelo Michele Errico et ses extrapolations irritent plutôt. Mais à force de précision, d’énergie et de vigilance le chef conduit la représentation à bon port et elle s’achève en triomphe, preuve renouvelée que la Rossinimania est désormais endémique à Bad Wildbad !