Troisième volet choisi par Pier Luigi Pizzi dans le cadre du thème de la duperie, La Traviata, mise en scène par Massimo Gasparon (longtemps assistant de Pizzi). Mais n’est pas Pizzi qui veut ! Et à vouloir tout faire, la mise en scène, les décors et les costumes, sans avoir le talent pour tout (ou pour tout faire en même temps), on obtient un résultat hybride, pour ne pas dire désordonné. Une mise en scène qui dit vouloir mettre en valeur la personnalité de Violetta, mais en l’isolant constamment ; une mise en scène et un décor qui coupent la scène en trois : une imposante partie centrale qui est juchée sur un socle malcommode de quatre marches, et qui se modifie à chaque acte, et deux parties latérales (tables et chaises) pour les choristes qui forment ainsi deux groupes déconnectés ; des changements de décors beaucoup trop longs ; des couleurs hideuses (le décor rouge du troisième acte, les robes de couleurs vives et vulgaires qui ne se marient pas : demi-mondaines ne veut pas dire vulgaires, bien au contraire) ; les costumes et accessoires se promènent d’une époque à l’autre (le Second Empire, les années 1880, les années 1930 et même une chaise longue de piscine des années 70) ; quant aux éclairages toujours si réussis de Sergio Rossi, ils sont ici médiocres, comme si l’absence de Pizzi les avait amoindris et comme estompés. Le metteur en scène annonce avoir voulu se situer entre Proust et Pirandello : ce n’est même pas Ce soir on improvise, ni Chacun sa vérité, ni même six personnages en quête de metteur en scène : c’est la madeleine grignotée Chacun à sa manière : au final, il ne reste rien. Bref, scéniquement une grande machine qui fonctionne, mais avec trop de lourds handicaps, et au niveau mise en scène, d’un côté un éparpillement, et de l’autre une diva qu’il faut ménager.
Car l’ensemble est dominé par Mariella Devia, qui revient au Sferisterio où elle a chanté Rigoletto en 2002 et Lucia en 2003. La Diva se fait rare depuis qu’elle a fait il y a quelques années ses adieux dans le rôle de Lucia : elle n’en demeure pas moins la digne représentante de la grande école de chant italienne, dans la continuité des Scotto et Freni. Bien sûr, son interprétation n’a rien à voir avec l’agitation désordonnée de sa consœur Myrtò Papatanasiu récemment entendue à Munich : Madame Devia, c’est la grande classe, le maintien, l’allure : avec elle, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. C’est un peu une autre époque, avec toutefois une ligne de chant d’une grande prudence qui, à plusieurs reprises, a désarçonné le jeune chef Michele Mariotti. Mais quelle grande leçon de beau chant, du type de celle qu’Alfredo Kraus a longtemps, comme elle, continué à donner. C’est bien agréable ainsi d’entendre absolument toutes les notes d’une partition, même si la cantatrice doit prendre parfois le temps qu’il lui faut pour les donner…
Le reste de la distribution n’était pas du même niveau : si l’Alfredo d’Alejandro Roy est élégant et physiquement convaincant, il a trop tendance à parfois crier, et n’a donc pas tenu les promesses du premier acte sur toute la longueur de l’opéra. Le Giorgio Germont chanté par Gabriele Viviani a également de la prestance, même si l’on pourrait se demander s’il n’est pas plutôt le frère, voire le fils d’Alfredo. On regrette simplement son manque de justesse, comme c’est trop souvent le cas pour nombre de chanteurs dans ce rôle. On aura enfin remarqué une Flora très présente interprétée par Gabriella Colecchia.
Le jeune chef Michele Mariotti est trop souvent dépassé par les événements. Sa direction (hormis le cas particulier de Mariella Devia) est beaucoup trop lente, ce qui a des incidences notamment sur la cohésion musicales des chœurs, pourtant excellents dans Butterfly la veille : ici trop dispersés et comme laissés à eux-mêmes, ils ne peuvent empêcher quelques décalages. Enfin, un mot sur le ballet catastrophe de toréros chez Flora : on se croit revenu au Châtelet dans les années 50 (cela dit sans vouloir choquer personne) !
Une représentation donc mi-figue mi-raisin, qui ne soulève pas l’enthousiasme des foules (maigres applaudissements), et qui pêche surtout par manque de cohésion entre des partis pris de mise en scène non aboutis et des chanteurs et chef d’orchestre aux styles musicaux trop différents.
Jean-Marcel Humbert