Une nouvelle production de The Turn of the Screw clôture au Grand Théâtre de Bordeaux ce dimanche 30 novembre la 7e édition du festival Novart. Des deux façons possibles de représenter l’opéra de Benjamin Britten, l’une factuelle, ancrée au livret, l’autre plus surnaturelle, Dominique Pitoiset choisit la première. Une maison meublée années 1960, avec au fond une baie vitrée ouverte sur un jardinet qui bute contre un mur de briques. Ni lac, ni tour, trop chargés de symboles mais un décor familier, simple, unique et clos dans lequel le drame va se visser peu à peu, comme un fait divers ; un conte de la folie ordinaire que le soin porté au jeu des acteurs rend encore plus prégnant. C’est paradoxalement cette première solution qui laisse la part la plus large à l’interprétation et, parce qu’elle s’avère plus conforme à l’esprit de l’œuvre, trouve notre préférence. Comme dans la nouvelle de Henry James, charge au spectateur, à partir des faits, d’apporter sa propre réponse aux questions posées. Quel est le sens de l’histoire ? Les fantômes sont-ils une réalité ou le fruit de l’imagination névrosée de la gouvernante ?
C’est, en accord avec la mise en scène, le tour de force de Mireille Delunsch(1) – et ce qui la rend unique dans ce rôle – de suggérer sans imposer, de provoquer le malaise « naturellement ». C’est ainsi que sa gouvernante se laisse glisser dans la spirale infernale. Maternelle et menaçante, douce et cruelle, limpide et trouble à la fois, elle semble encore plus accomplie que chez Bondy car plus ambigüe. La nature foncièrement lyrique de la voix, les couleurs vitriolées qui ailleurs desservent la chanteuse (on pense à certaines de ses héroïnes mozartiennes) achèvent l’identification et la portent au plus haut.
Dans une moindre mesure – le rôle n’a pas la même ambivalence – la Mrs Grose d’Hanna Schaer se montre idéale, même si le contraste avec le soprano de Mireille Delusnch semble à peine assez marqué. Tout comme paraissent à peine assez différenciées les voix des deux enfants : Morgane Collomb, inquiétante à souhait dans une composition très « famille Adam », et, Louis-Alexander Désiré, un « incroyable talent(2) » à la musicalité infaillible mais en mal de perversité.
Moins attendue et par voie de conséquence d’autant plus stupéfiante, Cécile Perrin sait user de ses inégalités de registre et de ses duretés pour composer une Miss Jessel à donner le frisson, d’un diabolisme acharné, qui tire la couverture du mal à elle au détriment du Quint de Paul Agnew, bien chantant – les sinuosités vocales du rôle le trouvent dans son élément – mais trop sommaire, trop sain, trop simple pour être visqueux.
Parmi tous les partis-pris possibles, Jane Glover, abusée sans doute par l’intimité de la salle, choisit celui de la violence au détriment de la nuance. Sa lecture implacable va à l’encontre de l’interprétation ouverte du metteur en scène et des interprètes. Dommage. Après Bondy et Harding, nous tenions là sinon, à un bémol près (le Quint de Paul Agnew) une nouvelle référence.
(1) Lire aussi l’interview de Mireille Delunsch sur sa propre vision du rôle
(2) Louis-Alexander Désiré a été révélé par l’émission de M6 « Incroyable Talent »