Unique opéra d’un compositeur génial, mort à 36 ans, Didon et Énée est une œuvre d’une portée universelle. Formé à la musique française et italienne, Henry Purcell a réalisé une admirable symbiose entre sa propre musique et les sonorités de la langue anglaise. Sujet mythologique, bel équilibre tragi-comique, ligne mélodique vibrante, écriture harmonique subtile, apte à exprimer les passions et les détresses humaines aussi bien que le déchaînement des éléments et des forces surnaturelles… Didon et Énée fascine et bouleverse dès la première écoute. C’est dire si les attentes du public étaient grandes.
En première partie, le concert démarre assez mollement, avec Amphitryon, ou les deux sosies, musique de cour à priori sans grand relief, mais se terminant sur un badinage amoureux plein d’esprit dans un charmant duo qui met en appétit pour la suite.
Après l’entracte, l’annonce toujours redoutée : la mezzo soprano suédoise Ann Hallenberg, très attendue dans le rôle de Didon, vient de s’évanouir dans sa loge ; elle sera remplacée par la jeune soprano entendue dans l’ouvrage précédent : Caroline Meng. L’ouverture chargée de mystère se fond dans un sentiment d’urgence et la voix claire de Belinda apaise le trouble de Didon ; dans un climat bucolique Énée déclare, lui aussi son amour ; une danse triomphante clôt le premier acte. L’acte suivant commence par l’anathème de la magicienne — chanté un peu trop sagement par le contre-ténor Magid El-Bushra. Il dialogue avec les sorcières tandis que le chœur et Belinda poursuivent la narration jusqu’à la danse des Furies sous les grondements du tonnerre. « Thunder and lightning. Horrid music ». Après une pause, l’orage reprend ; Énée reçoit de Jupiter l’ordre de quitter Carthage. Malgré sa peine, le Troyen n’a plus qu’à obéir. Le baryton Thomas Dolié donne ici toute sa mesure. Avec sa voix profonde, expressive et bien timbrée et son engagement dramatique — remarquable pour une version de concert — il domine nettement la distribution. Prélude suivi d’un bref air de ténor, chœur de marins, nouvelle intervention de la magicienne, danse effrénée des sorcières… L’acte trois se termine sur la dernière rencontre entre Didon et Énée. Lui, sur le point de faiblir, se dit prêt à rester auprès d’elle malgré l’ordre de Jupiter. La reine le repousse « Away. Away ! » Et, c’est sur la poignante lamentation d’une Didon qui accueille sereinement la mort tandis que des cupidons répandent des roses sur sa tombe que le flux musical meurt, lui aussi, avec une extrême lenteur et que s’achève cet incomparable petit joyau de l’art lyrique du 17e siècle.
Sous la conduite de leur fondateur, David Stern, le chœur et l’orchestre d’Opera Fuoco — sur instruments d’époque — exécutent ardemment cette œuvre qui déborde de vie. Si le « feu » qu’ils revendiquent est présent de bout en bout, on peut regretter que la direction soit plus énergisante que réellement habitée. Il manque le grain de folie, l’effroi, le grinçant qui rendent la partition si captivante. La jeune soprano brésilienne Luanda Siqueira mérite une mention pour sa musicalité et son joli timbre. Judith van Wanroij, Belinda chante avec conviction — et sans partition — un rôle qu’elle maîtrise bien. Caroline Meng qui a remplacé Ann Hallenberg au pied levé avait heureusement déjà chanté Didon avec David Stern à Saint-Gall. Bien qu’elle ne soit pas une tragédienne avec l’autorité nécessaire pour incarner la reine de Carthage, la jeune soprano a bien tiré son épingle du jeu. Elle a été chaleureusement applaudie par un public très affecté par une toux incontrôlée, meublant inévitablement chaque pause musicale. À quand les distributeurs de pastilles ?