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Simon Boccanegra — Berlin

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Spectacle
13 novembre 2009
L’étonnant Monsieur Domingo

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3

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Simon Boccanegra (Verdi, Barenboïm – Berlin)

Détails

Giuseppe Verdi (1813-1901)

SIMON BOCCANEGRA
Opéra en trois actes avec prologue

Livret de Francesco Maria Piave

Création : La Fenice 1857, révision Arrigo Boïto : La Scala 1881

 

Mise en scène : Federico Tiezzi

Décors : Maurizio Balò

Costumes : Giovanna Buzzi

Éclairages : A. J. Weissbard

Simon Boccanegra : Placido Domingo

Jacopo Fiesco : Kwangchul Youn

Maria Boccanegra (Amelia Grimaldi) : Anja Harteros

Gabriele Adorno : Fabio Sartori

Paolo Albiani : Hanno Müller-Brachmann

Pietro : Alexander Vinogradov

Chœur Eberhard Friedrich

Staatsopernchor

Staatskapelle Berlin

Direction : Daniel Barenboim 

Staatsoper unter den Linden, Berlin, 13 novembre 2009

L’étonnant Monsieur Domingo

En ajoutant le rôle titre de Simon Boccanegra à son immense répertoire (on parle de 127 rôles), Placido Domingo entame à Berlin une longue tournée qui l’amènera également dans les mois qui viennent à New-York, Zürich, Milan et Madrid. Ce n’est pas la première fois que le ténor espagnol s’encanaille avec la tessiture de baryton : il a ainsi déjà chanté Danilo dans La Veuve joyeuse et Vidal dans Luisa Fernanda. Mais avec Boccanegra, on passe, si j’ose dire, aux choses sérieuses car il s’agit d’un vrai rôle d’opéra (et pas l’un des moindres) et non un rôle d’opérette. Domingo disait désirer ardemment chanter ce rôle de père brisé par le destin. Le pari est gagné haut la main, en dépit de quelques réserves. La première, c’est que le vendredi 13 a failli être fatal au chanteur, annoncé souffrant à l’entracte, mais qui viendra tout de même au bout de cette représentation, au prix de quelques sons rauques il est vrai, mais coïncidant fort heureusement avec la scène de l’empoisonnement. Plus fondamentalement, le rôle de Simon a été écrit pour un baryton qui a de l’aigu et pas pour un ténor qui a du grave. Ainsi, quand la partition monte dans l’aigu, le baryton pousse sa voix à ses extrêmes : la puissance et la tension du chant s’allient alors à la tension dramatique du livret. Avec un ténor, les notes sortent pour ainsi dire trop facilement, et on perd la coïncidence avec la situation dramatique illustrée par la musique. Mais le choix d’un ténor a aussi un effet positif : avec son trio de baryton ou de basse dans les rôles principaux, Simon Boccanegra a une couleur assez uniformément sombre, qui explique en partie que ce Verdi tristounet soit l’un des moins appréciés du plus large public. Ici, l’introduction d’un ténor dans le trio vient rompre fort opportunément cette uniformité. Au-delà de ces considérations vocales, on ne peut que se réjouir de retrouver les talents dramatiques de Placido au service de cet ouvrage, d’autant plus crédible scéniquement que le ténor mexicain a désormais l’âge du rôle.

Pour cette prise de rôle, Placido est luxueusement entouré par une distribution quasiment sans faille. Presque aussi applaudie au rideau final, Anja Harteros est une Amelia comme on n’en avait pas entendue depuis longtemps. La voix est riche, le timbre un peu sombre convient à merveille à cet ouvrage crépusculaire ; les piani et trilles sont magnifiquement exécutés, mais sans que cette perfection technique ne viennent troubler la tension dramatique par un hédonisme de mauvais aloi. La voix a la largeur, la puissance et l’étendue requises. Bref : un sans faute. Kwangchul Youn est un Fiesco magnifiquement chantant, aux belles nuances, auquel ne manquerait pour cet ouvrage qu’un timbre plus sombre pour mieux contraster avec celui de Domingo. Il est dommage que cette excellente basse ne fasse pas la carrière internationale qu’elle mérite. Hanno Müller-Brachmann est un Paolo absolument remarquable à la voix homogène et puissante, bon acteur sans histrionisme (son physique élégant contrastant opportunément avec la noirceur du rôle), spectaculaire dès son entrée. Là encore, on ne peut que souhaiter une carrière internationale aux côtés des plus grands. Dans un rôle que Domingo chantait encore il y a une dizaine d’années, Fabio Sartori vient apporter une italianité ensoleillée. Certes, l’acteur est un peu gauche, mais là encore (si on me passe l’expression), quelle pétoire ! D’une manière générale, il y avait bien longtemps que je n’avais pas entendu une distribution capable d’un tel niveau de décibels, ce qui, je le confesse, fait aussi partie du plaisir de la soirée.

Dans la fosse, Daniel Baremboïm assure une direction d’orchestre un peu générique mais efficace. Après un prologue un brin trop rapide, le chef israélo-argentin se contente de soutenir ses chanteurs. Rien de scandaleux : simplement, Baremboïm n’est pas franchement un spécialiste de cette musique à laquelle il apporte davantage de métier que de génie.

Mais le principal point faible de cette production reste la mise en scène. Le public berlinois est plutôt habitué aux mises en scène modernes (qu’on qualifie méchamment d’euro-trash outre-atlantique). Pour une fois qu’une nouvelle production se veut traditionnelle, le Staatsoper n’aura pas fait les choses à moitié, sauf au niveau du budget : des décors d’une telle naïveté figurative qu’on les croirait sortie du spectacle de fin d’année de l’école communale unter den Linden ; de beaux costumes d’époque pour les solistes, mais complétés par un attirail ridicule et mal exécuté pour tous les autres interprètes ; et une direction d’acteurs qui inspire la gène : voilà vraiment le type de spectacle auquel il ne faut pas convier un novice qui considérerait a priori l’opéra comme un genre vieillot. Quelques exemples : lorsque Paolo indique du doigt la fenêtre de la chambre de Maria, au milieu de la scène, les choristes, répartis de chaque côté de celle-ci, pointent simultanément du doigt dans la même direction ; le poison est apporté par un serviteur qui avance à grandes enjambées les bras tendus en avant et la tête cachée entre les épaules (on dirait un esclave dans Intolerance de Griffith !) ; sans compter les idées saugrenues : quand Boccanegra fait Paolo se maudire lui-même, tous les présents le pointent du doigt (c’est une manie) comme si sa culpabilité ne faisait aucun doute pour quiconque (alors que justement non !). On tremble à l’idée que cette même pathétique production sera reprise à la Scala.

Quinze minutes d’ovation viennent saluer la performance des chanteurs. Il faut dire que les voix étaient la fête : il y a longtemps que l’on avait réuni un plateau d’une telle qualité. On en redemande … mais dans une autre production !

Placido Carrerotti

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