Le jeune festival d’Erl a été créé en 1998 par le chef d’orchestre Gustav Kuhn. Il se déroule depuis dans le bâtiment du Théâtre de la Passion (1 500 places), construit en 1959 par Robert Schuller. Or si l’acoustique y est excellente, aucune fosse n’y existe, condamnant les productions à être données sur une scène large de 25 mètres devant un orchestre étagé sur des gradins. Le succès du festival entraîna la construction d’une nouvelle salle tout à côté, créée en 2012 par Delugan Meissl Associated Architects, avec une capacité de (seulement) 862 sièges, mais surtout la plus grande fosse d’orchestre du monde pour un théâtre non de plein air (160 mètres carrés). Ainsi, à l’ancienne salle toute blanche visible de fort loin en été, répond la nouvelle salle noire visible de fort loin sur la neige, confirmant son rôle d’abriter un festival d’hiver. Mais bien évidemment, comment et pourquoi laisser inemployée cette salle en été ? On y donne donc des opéras autres que ceux de Wagner, et surtout des concerts et récitals.
Pour la première fois, Tristan et Yseult passe du Passionsspielehaus au Festspielehaus. Il s’agit d’une reprise d’une production que nous avions vue en 2011, donnée donc ce soir dans des conditions totalement différentes, celles qu’offre un vrai théâtre d’opéra ; et, cerise sur le gâteau, la fosse d’orchestre est couverte pour la première fois d’un vélum opaque qui cache au public le chef et les musiciens, tout en adoucissant le son : vrai clin d’œil à Bayreuth qui se révèle fort efficace, au point que l’on se demande pourquoi cette idée n’est pas appliquée d’une manière plus générale. Le décor est le même qu’en 2011, fait a minima de quelques éléments dispersés sur un plateau plus aéré, avec les éclairages aux couleurs hideuses habituels. Les non germanistes apprécient les surtitres en anglais.
Michael Mrosek, Gianluca Zampieri et Hermine Haselböck © Tiroler Festspiele Erl / APA-Fotoservice / Xiomara Bender
Mais, bémol important dans l’organisation du festival, personne ne connaît à l’avance les distributions : plusieurs sont annoncées, et ce n’est que le jour même que l’on sait laquelle a été désignée par le chef. Ainsi, pour ce Tristan, la première a été assurée par la magnifique Mona Somm. Et nous nous sommes retrouvés à la seconde représentation avec exactement – ou peu s’en faut – la même distribution qu’en 2011, alors que nos commentaires de l’époque étaient relativement peu élogieux pour la titulaire du rôle. Mais il ne faut pas s’en plaindre, car les choses ont fort bien évolué.
Finie la petite dinde hystérique qui avait justifié cette critique sévère : Bettine Kampp conçoit maintenant le rôle d’une manière toute différente, lui apportant maturité et réflexion, ce qui nourrit ses interventions d’une grande profondeur, posée sans être statique. La voix s’est également consolidée, et la chanteuse donne l’impression d’être encore très en forme pour la mort d’Isolde, sans pour autant s’être trop économisée jusqu’alors. Puissance, musicalité, la performance est fort belle, une très bonne Isolde. À ses côtés, le Tristan de Gianluca Zampieri atteint des sommets d’interprétation avec ses moyens, excellemment menés. Le côté épique de l’amour artificiellement créé par le breuvage magique, se meut au dernier acte en déchirement psychologique, physique et lyrique, qui outre son amour pour Isolde trouve une expression poignante dans son amitié pour Kurwenal, l’excellent Michael Mrosek, avec qui il forme un exceptionnel duo.
Le reste de la distribution est digne de tous les éloges, formant un ensemble parfaitement équilibré, avec tout particulièrement la Brangäne tout en nuances d’Hermine Haselböck, le roi Marke de Franz Hawlata et le Melot de Wolfram Wittekind. La direction de Gustav Kuhn peut surprendre par sa dynamique et sa rapidité, mais s’adapte parfaitement tant aux interprètes qu’au lieu : une belle réussite.