Rolando Villazón va bien, merci. Que ses admirateurs soient rassurés : les oiseaux de mauvais augure qui prédisaient au chanteur franco-mexicain une fin de carrière imminente se sont trompés. Il est apparu hier sur la scène de la salle Pleyel dans une forme renouvelée, comme s’il n’avait jamais été contraint par divers problèmes vocaux de mettre la pédale douce. La voix a conservé son velours sombre. Cette couleur caractéristique, si elle évoque moins qu’autrefois Domingo, continue de communiquer un frisson immédiat. Dès le premier air d’ailleurs, le public applaudit son ténor retrouvé avec une ferveur intacte. « La mia letizia infondere » est balancé comme un brindisi. Qu’importe. Le chant de Rolando Villazón est à son image : expansif, enthousiaste, tout d’un bloc. Que celui qui ne goûte pas sa générosité passe son chemin. Ainsi, les numéros se succèdent, attaqués avec la même flamme, embrassés avec la même passion, agités de la même fièvre, comme si le sort du monde à chaque fois en dépendait. Impossible de tenir une telle cadence. De larges plages orchestrales offrent heureusement au ténor un indispensable repos. Dirigé par Guerassim Voronkov, le Czech National Symphony Orchestra remplit alors dignement son office. Seule la complexité du rare prélude d’Otello désorganise les éléments. Dans l’ouverture d’I Masnadieri, le premier violoncelle, Martin Havelik, montre autant de résolution que le héros de la soirée.
Malgré tout, la fatigue commence à faire son ouvrage. Peu à peu, la ligne se distend, les voyelles s’ouvrent exagérément, les reprises de souffle se font bruyantes, la puissance s’amenuise. Mais rien n’entame la véhémence du ténor, comme si, nouvel Icare, il cherchait à repousser encore ses limites. A le voir ainsi se donner sans compter, on se prend à guetter dans le programme les passages qui lui (et nous) offriront un moment de répit. En vain. Même lorsque les mots et la musique l’y autorisent, Rolando Villazón ne desserre pas son étreinte expressive. C’est avec des accents uniformémement dramatiques que s’expriment le désespoir de Corrado, la jalousie de Rodolfo, le remords de Riccardo, la douleur de Macduff. Pourtant, le « perdono aprir » qui conclut « Ah, la paterna mano » a davantage d’impact quand il est murmuré. Rolando y pense puis la deuxième fois, pris dans le feu de l’action, oublie.
Moins connues, les deux mélodies qui referment le récital, « Deh, pietoso, oh Addorata » et « L’esule », n’en sont pas moins impitoyables. Orchestrées par Luciano Berio, elles offrent une palette d’émotions aussi vaste qu’un air d’opéra et demandent autant d’investissement vocal. Le ténor y consume ses dernières cartouches. Une partie du public, reconnaissante, se lève. « Merci à toi » crie une spectatrice au dixième rang d’orchestre. « Merci à vous » répond le chanteur en balayant d’un bras toute la salle. Suivent deux bis que l’on suppose appartenir au même cycle de romances. « Cette composition… a été composée par Verdi », annonce Villazón avant de s’esclaffer : « c’est de l’humour ! ». Toujours facétieux, il revient une chope de bière à la main entonner un ultime brindisi puis prend par le bras la plus jolie des violonistes pour regagner définitivement la coulisse, le sourire aux lèvres. Comment ne pas être gagné par tant de bonne humeur.