Le Festival Présences est certainement l’un des rares endroits où l’on peut voir se côtoyer dans un même concert des esthétiques et formats différents : du soliste au grand orchestre, avec ou sans voix, c’est un florilège de pièces nouvelles que donnaient à entendre l’Orchestre philharmonique de Radio France, le Chœur et la Maîtrise de la Maison ronde, tous placés sous la direction de Kent Nagano (excusez du peu).
Heureusement, nous ne sommes pas à l’opéra, et le discours inaugural de l’intersyndicale alarmant sur la disparition lente mais certaine du Chœur de Radio France n’est pas copieusement hué, mais vivement et dûment applaudi. Le message est passé, et la musique peut commencer.
La jeune compositrice britannique Helen Grime ouvrait le concert avec ses Fanfares pour grand orchestre, présentées ici en création française. Assez jubilatoire, l’œuvre porte bien son nom, et l’on sent l’influence de son professeur Julian Anderson, très proche du dédicataire du festival, George Benjamin. Très brève, l’œuvre ne donne que peu de temps à l’auditeur pour assimiler la matière sonore, et l’on aurait volontiers fait plus longuement connaissance de la compositrice.
Bien qu’absent physiquement du concert, George Benjamin était représenté par Sometime Voices, pour baryton, chœur et orchestre. Le compositeur affirmait récemment que chaque œuvre qu’il écrivait était une approche vers l’opéra. On sent ici ce désir scénique dans un traitement massif du chœur, et dans les lignes vocales qui annoncent déjà celles de Written on Skin. Pourtant, à l’inverse de son deuxième opéra, l’œuvre conserve une certaine raideur d’écriture qui n’est pas sans rappeler l’esthétique d’un oratorio.
Cette sobriété se ressent dans la baguette économe et précise de Kent Nagano. En écho à celle-ci, Gyula Orendt projette son baryton lyrique avec force dans l’auditorium, mais la dureté de son (certes requise par la partition) se change peu à peu en impression de fatigue et de lutte. A l’inverse, le Chœur de Radio France semble d’abord lutter contre une écriture chorale presque ingrate (registre très aigu en bouches fermées), mais s’épanouit pleinement à partir du forte général, et rappelle mieux que jamais la nécessité d’une formation lyrique symphonique professionnelle dans la création musicale.
Plat de résistance de cette première partie, la création française de Man Time Stone Time de Ondřej Adámek semblait très attendue. On retrouve la passion du compositeur pour les pierres (oui), ainsi que son univers ludique et grouillant d’intertextualités musicales. Les quatre solistes vocaux parlent, hurlent et frappent plus qu’ils ne chantent, contribuant à un rituel aussi musical que scénique. Manifestement amusé par la partition, Kent Nagano tire d’étonnantes textures d’un orchestre qui fait la part belle aux percussions et aux sonorités bruitistes dans les instruments. Un soupçon de prévisibilité rythmique finit par s’installer, mais on ne peut pas reprocher au compositeur de manquer d’humour ni d’imagination.
D’une écriture tout aussi virtuose, mais d’expression plus austère, Wood and bones de Jérôme Combier peut compter sur l’engagement complet d’Eric-Maria Couturier pour en transmettre le discours.
Classique du XXe siècle, les Trois petites liturgies de la Présence Divine d’Olivier Messiaen refermaient ce concert. En spécialiste de la musique du compositeur-ornithologue, Kent Nagano communique avec une passion manifeste les intentions musicales du compositeur, avec une battue toujours aussi précise, mais qui semble avoir gagné en souplesse et en sensualité au fil du concert. La Maîtrise de Radio France émeut par son intonation irréprochable, et par la qualité de ses solistes, tandis que le piano volubile et perlé de Maroussia Gentet offre un délicieux contrepoint ornithologique aux accords de couleurs à l’orchestre.
Avec ce concert ambitieux par sa programmation éclectique, le Festival peut tout de même se féliciter d’un auditorium plein, et d’une fréquentation générale en hausse pour cette édition 2020. Contrairement à ce que l’on voudrait faire croire, la musique d’aujourd’hui semble avoir de beaux jours devant elle.