Créé au Théâtre des Italiens en 1835, Les Puritains ont dû attendre 1987 pour faire leur entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, dans ce qui était alors sa seconde salle : l’Opéra-Comique. Ces représentations avec une June Anderson en état de grâce et un Rockwell Blake au sommet de son art, sont devenues aujourd’hui quasi mythiques. La saison passée, les Parisiens ont pu entendre l’ouvrage en version de concert au Théâtre des Champs-Élysées avec, dans le rôle d’Elvira, Olga Peretyatko, entourée par une équipe de chanteurs solides dont certains se retrouvent dans la nouvelle production que propose aujourd’hui l’Opéra-Bastille.
C’est à Laurent Pelly qu’échoit la lourde tâche d’adapter cette œuvre, somme toute intimiste, aux vastes proportions de la salle. Le metteur en scène fait le choix de l’épure : point ici de transposition hasardeuse ni de décors encombrants : le rideau se lève sur l’armature en tiges métalliques d’un château qui tourne lentement sur lui-même. Au fond, un écran dont la couleur varie au gré des scènes. Au deuxième acte, une simple tour, toujours en métal, s’élève sur le plateau nu. À l’intérieur se trouve un lit sur lequel Elvira est étendue. Enfin au trois, le château est cette fois de biais, côté cour, laissant le champ libre au centre de la scène, pour les chœurs et les figurants. Contrastant avec la robe d’un blanc immaculé d’Elvira, les costumes de couleurs neutres : gris, marron ou noirs, évoquent de manière stylisée et en harmonie avec le décor, un dix-septième siècle plus fantasmé que réaliste. La direction d’acteurs enfin, à la fois précise et sobre, établit avec une grande lisibilité les relations entre les divers personnages. Laurent Pelly se permet même d’instiller dans sa mise en scène une petite touche d’humour, en faisant se déplacer les soldats comme des personnages de dessin animé. Au rideau final l’accueil du public est chaleureux.
Le livret du Comte Pepoli, il faut bien le dire, n’est pas des plus subtils, c’est pourquoi le succès de cet ouvrage repose en grande partie sur la musique et l’aptitude des quatre protagonistes principaux à affronter les difficultés techniques dont Bellini a parsemé sa partition. Il faut dire qu’il avait sous la main un quatuor vocal d’exception (Grisi, Rubini, Tamburini, Lablache). L’équipe réunie pour cette nouvelle production est-elle à même de rendre pleinement justice à cette œuvre et de se hisser au niveau de ce qu’on attend d’une grande scène internationale ? On serait tenté de répondre par l’affirmative, en dépit de quelques menues réserves concernant notamment le couple de jeunes premiers.
Maria Agresta, dont ce sont les débuts à Paris, possède une voix solide au timbre corsé, et un suraigu émis avec aisance. Le volume, en outre, est généreux, ce qui à Bastille, constitue un atout non négligeable. Son legato, émaillée de fort jolies demi-teintes, est impeccable et surtout, elle parvient à rendre crédible son personnage : c’est une ovation bien méritée qui accueille son « Qui la voce », interprété avec une grande sensibilité. Dans la cabalette cependant, les vocalises sont négociées avec un zeste de prudence et le trille est absent. Les amateurs d’ornementations échevelées en auront été pour leurs frais. Dmitri Korchak, qui avait fait bonne impression dans le rôle d’Arturo l’an dernier aux Champs-Élysées, semble ici gêné par les proportions de la salle. Tout au long de la soirée, il a tendance à grossir sa voix ce qui finit par dénaturer sa ligne de chant, notamment dans l’aigu, émis la plupart du temps en force. Il possède pourtant largement les moyens du rôle et se montre capable, par moment, d’émettre de fort jolies demi-teintes. Mariusz Kwiecien, en revanche, tire son épingle du jeu en campant un Riccardo dont il excelle à rendre crédibles les différents affects. Si la voix a mis un moment à se chauffer, le timbre n’a rien perdu de sa séduction ni de son insolence. Sa technique souveraine et sa capacité à varier les coloris témoignent de sa longue fréquentation du répertoire belcantiste, des qualités qu’il partage avec Michele Pertusi, Giorgio à la fois digne et émouvant dans ses scènes avec Elvira. Sa reprise pianissimo de l’air « Cinta di fiori » déchaîne l’enthousiasme du public.
Parmi les personnages principaux, il convient de mentionner également le chœur, dont les nombreuses interventions n’appellent que des éloges. Les trois rôles secondaires sont fort bien tenus, notamment l’Enrichetta d’Andreea Soare dont le timbre agréable fait regretter que son rôle soit si bref.
Michele Mariotti, dont la carrière est en pleine ascension, faisait également ses débuts à l’Opéra de Paris. Sa direction, extrêmement fluide et précise, ne manque ni d’élégance ni de subtilité. Le chef italien se montre extrêmement attentif aux moindres détails et prend soin de ne jamais couvrir les chanteurs. Ses tempos retenus cependant, semblent avoir dérouté une poignée de spectateurs dont l’hostilité a été rapidement noyée sous les applaudissements nourris du reste de la salle.