Retour au Palais Garnier pour la face B de La Donna del lago dont l’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris n’aura décidément pas été à la hauteur de nos espérances. La faute à la mise en scène de Lluis Pasqual dont il a été déjà dit beaucoup de mal. A juste titre. En illustrant platement l’œuvre, quand il ne la ridiculise pas, le metteur en scène passe tout simplement à côté du premier opéra romantique de l’histoire1. Tout agace dans cette approche dévoyée : le manège incessant de la trappe, les gestes convenus, les mouvements de décor, les tics et les tocs déjà relevés à Pesaro dans un Comte Ory embarrassé des mêmes effets : le chœur en tenue de soirée et les lustres (dont l’un d’entre eux, en descendant, s’accroche au décor faisant craindre pour la sécurité des choristes). Le Comte Ory de Pesaro, cependant, pouvait se prévaloir d’une idée (les aventures du libertin étaient présentées comme un jeu de société). Ici la seule justification que l’on trouve à pareil traitement est la volonté de pointer du doigt les conventions qui pèsent sur l’ouvrage. C’est déjà beaucoup lui concéder.
Autre faiblesse, celle-là moindre : la direction martiale, bien que vivante, de Roberto Abbado. « Je ne savais pas la musique de Rossini si militaire » s’étonne d’ailleurs en toute candeur une spectatrice à la fin du premier acte. Militaire ou non, cette musique n’est clairement pas inscrite dans les gènes du chœur et de l’orchestre. On note pour l’un comme pour l’autre un manque de relief et de dynamique auxquels les forces de l’Opéra de Paris ne nous avaient pas habitué.
« Rien que pour les voix » alors, ainsi que le titrait Christian Peter dans ces mêmes colonnes ? Oui, assurément même si cette deuxième distribution ne se situe pas au même niveau que la première, qui voyait en Elena et Giacomo deux de nos étoiles actuelles, Joyce DiDonato et Juan Diego Florez, faire assaut de roulades. On reconnaitra tout de même à Javier Camarena l’engagement qui faisait défaut à son confrère péruvien : une conviction qui se traduit par des traits aiguisés et des accents héroïques (au risque de réduire la distance vocale qui sépare Giacomo de l’autre ténor : Rodrigo). Davantage de caractère et de virilité dans le timbre aussi. C’est au niveau de l’agilité en fait que le bât blesse. Les quatre-vingt triples croches enchaînées de « Oh fiamma soave » sont impitoyables.
De son côté, passée la douceur inspirée de « Oh mattutini albori », Karine Deshayes semble perdre peu à peu ses repères, se plaçant même en retrait de ses partenaires. Une projection limitée, un medium absent, des aigus systématiquement forte laissent à penser que le rôle d’Elena ne correspond ni à sa vocalité, ni son tempérament. Pour preuve, après une succession de récitatifs et d’ensembles où la mezzo-soprano française ne s’impose pas, la magie soudaine d’un « Tanti affetti », plus en accord avec sa personnalité : fluide, subtil, poétique, évident. Les variations virtuoses de l’allegro conclusif (« Fra il padre e fra l’amante ») la montrent de nouveau moins imaginative.
Le reste de la distribution est inchangé. En peu de phrases, le Serano de Jason Brige continue de promettre beaucoup. Simon Orfila (Douglas) fait une nouvelle fois valoir un métal imparable. Dans le rôle de Malcolm, Daniela Barcellona remporte encore un triomphe même si son chant nous semble moins homogène. L’ornementation dans l’aigu reste impressionnante de volume et de précision mais la ligne apparaît souvent heurtée et le souffle moins contrôlé.
Colin Lee, en revanche, dans le rôle impossible de Rodrigo, est toujours aussi électrisant. Après un grand solo d’entrée sauvage qui le voit enjamber sans complexe plus de deux octaves (l’aigu est impérial, le grave un peu moins assuré mais l’ensemble d’une vaillance exemplaire), le chant sait dans la cavatine qui suit rengainer son épée pour laisser affleurer l’âme. Justesse de ton, justesse de son, raffinement qui par contraste avec le numéro précédent transit. Durant une dizaine de minutes, le temps d’une scène, rien ne compte, tout est oublié et la soirée décolle enfin. Plus qu’un air, une absolution qui nous sauve de l’ennui dans lequel nous aurions sinon sombré.