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Ce week-end thématique de la Philharmonie étant consacré au lied, il fallait inévitablement rendre hommage au compositeur qui donna au genre ses lettres de noblesse. Franz Schubert était donc accompagné de sa Belle Meunière, et c’était au ténor Christoph Prégardien d’en défendre les couleurs.
Que conclure de cette soirée ? Prévenons d’abord nos lecteurs, elle fut loin de faire l’unanimité. Si le public de la Salle des concerts de la Cité de la musique n’hésita à manifester son enthousiasme par des applaudissement nourris, gageons que nous ne fûmes pas les seuls à être déconcertés.
© Marco Borggreve
Christoph Prégardien est un immense interprète de lieder, cela ne fait aucun doute. Sa notoriété en ce qui concerne Schubert en particulier n’est plus à établir, et cela, le ténor nous le montre bien. Le texte est pensé jusque dans ses moindres détails musicaux, tout cela avec naturel et distance, à l’instar d’un « Tränenregen » au dénouement surprenant, ou d’un « Eifersucht und Stolz » empreint d’une hargne bienvenue.
C’est vocalement que l’on restera un peu sur notre faim ce soir-là. Bien sûr, rares sont les ténors qui tiennent le pari de chanter un cycle aussi long à plus de soixante ans. Cependant, cette performance (tout à fait honorable compte tenu de l’âge) se fait au prix d’une transposition des lieder dans une tessiture de baryton. Cela n’est pas un problème en soi, si ce n’est que l’on y perd en présence sonore, notamment dans les sections les plus agitées (« Mein ! » et surtout « Der Jäger »). On déplore également une intonation qui se fait chancelante par endroits (« Der Neugierige »), et un aigu qui a tendance à s’amenuiser et à plafonner. Consolons-nous avec les grandes réussites de cette soirée : un « Ungeduld » rayonnant montre que l’artiste a encore du timbre à revendre, tandis que « Die böse Farbe » le place sous son jour musical le meilleur.
Une relation étroite lie le ténor à son partenaire de scène, le pianiste Michael Gees, puisque le duo a porté au disque cette Meunière il y a dix ans. Cependant, le jeu savonneux et imprévisible de l’accompagnateur pourra en agacer plus d’un. Nimbés de pédale, les contours mélodiques et harmoniques de chaque pièce deviennent franchement méconnaissables. La balance des plans sonore est elle aussi anarchique et le tempo se fait glissant à défaut d’être souple. En plus de cela, l’interprète a cru bon de proposer quelques ornementations supplémentaires. La volonté de donner ainsi à chaque strophe un caractère propre est louable, et « Mit dem grünen Lautenbande » s’en tire plutôt bien. Mais où était l’intérêt d’improviser des variations dans la berceuse finale, alors que c’est sa quiétude qui lui donne toute sa force ? Idem pour « Die liebe Farbe » qui se voit maquillé de quelques fioritures rossiniennes dont on se serait bien passé.
Reconnaissons cependant qu’une leçon de dialogue nous est donnée ce soir-là. En effet, le pianiste sait se montrer très attentif au jeu scénique du chanteur, ayant plus souvent les yeux rivés sur ce dernier que sur la partition, et accompagnant chaque inflexion vocale de son pendant pianistique (l’enfer du madrigalisme est pavé de bonnes intentions). Dans un art où la communication entre les interprètes est primordiale, nous voilà donc servis. Pour le reste, chacun appréciera cette soirée comme il le souhaite.