C’est une version de Rigoletto mise en espace qui nous a été proposée par Le Théâtre des Champs-Élysées ce mercredi 3 Octobre. Deux canapés situés à chaque extrémité de la scène constituent les seuls éléments de décors, pour le reste les chanteurs, qui ont laissé leurs partitions au vestiaire, jouent leurs rôles comme dans une vraie production. Certains personnages apparaissent derrière l’orchestre, par exemple les courtisans qui s’apprêtent à enlever Gilda, d’autres surgissent dans la salle comme Monterone qui lance ses imprécations contre le Duc et son bouffon du haut du premier balcon, côté jardin. Les entrées et les sorties tout comme les jeux de scène, succincts mais précis, qui animent le plateau sont impeccablement réglés par Bertrand Couderc.
La distribution est dominée Par Simon Keenlyside, en grande forme vocale, qui s’empare du rôle-titre avec une fougue et une conviction qui laissent pantois. Sur la scène, le baryton anglais se déplace en claudiquant pour mieux créer l’illusion de la difformité de son personnage mais en l’absence de maquillage et de costume il ne parvient pas à faire oublier tout à fait sa fringante silhouette de dandy élégant. En revanche sur le plan vocal il livre une interprétation d’une rare intensité dramatique avec un sens du phrasé et une intelligence du texte qui n’est pas sans rappeler celle d’un Fischer-Dieskau. Alors, même si le timbre est un peu clair pour le rôle, même s’il n’en possède pas exactement la tessiture, et même si certains ornements sont escamotés (dans la cabalette « Si, vendetta ») comment résister à cette incarnation de haut vol, à cette supplique désespérée qu’il lance, à genoux, aux courtisans (« Miei signori, perdono, pietate ») à la fin du deux ou à ce désespoir infini qu’il exprime devant sa fille mourante au cours de la scène finale dans un silence sépulcral ?
A ses côtés Saimir Pirgu ne manque ni de charme ni de panache comme en témoigne son « Questa o quella » au premier acte, interprété avec une désinvolture teintée de cynisme. Le timbre est séduisant, la ligne de chant soignée. Dommage que son grand air du deux « Parmi veder le lagrime », vocalement irréprochable au demeurant, ne soit pas aussi expressif qu’on l’aurait souhaité et que la cabalette qui suit dont il ne donne qu’un seul couplet soit chantée d’une façon par trop mécanique. Heureusement, au dernier acte, sa « Donna è mobile » couronnée d’un si claironnant lui vaut une ovation méritée de la part du public.
La fraîcheur du timbre d’Ekaterina Siurina sied au personnage de Gilda qu’elle interprète avec une voix moelleuse de soprano lyrique qui plafonne dans l’aigu. Nous n’entendrons donc pas les habituelles contre-notes, certes non écrites mais imposées par la tradition, quant à la cadence de son air « Caro nome », réduite à sa plus simple expression, elle tombe irrémédiablement à plat. La soprano se rattrape au dernier acte au cours duquel, sans doute stimulée par ses partenaires, en particulier Simon Keenlyside, elle confère à son héroïne une dimension tragique tout à fait bienvenue.
Les seconds rôles sont tous remarquables, citons le Sparafucile de Stanislas Trofimov au timbre de bronze dont le fa grave à la fin de son duo avec Rigoletto est parfaitement timbré, le Monterone sonore et autoritaire de Carlo Cigni, la Maddalena pulpeuse d’Alisa Kolosova et la triple incarnation convaincante d’Alexandra Scholik. Enfin, saluons l’excellence du Philharmonia Chor Wien, impeccable dans ses nombreuses interventions.
A la tête de son Orchestre philharmonique du Luxembourg, Gustavo Gimeno sème le chaud et le froid. Sa direction énergique et ses tempi alertes font illusion en début de soirée mais se révèlent dépourvus de profondeur lorsque le drame se noue (l’enlèvement de Gilda). Au dernier acte point n’est besoin d’autant de vacarme pour souligner l’aspect tragique de la situation.