Tout a déjà été dit – ou presque – sur la nouvelle production de Rigoletto signée Klaus Guth, par Yannick Boussaert dans son compte rendu de la première. Deux bouffons donc, cohabitent sur le plateau : un comédien et un chanteur. Le premier (excellent Pascal Lifschutz) incarne le bossu devenu un clochard traînant sur la scène, pendant toute la représentation, un carton rempli de ses souvenirs. Le second joue (et chante) le drame, présenté comme un flashback, à l’intérieur du carton dont la réplique gigantesque sert de décor unique à la représentation. L’idée n’est certes pas mauvaise : elle inscrit l’intrigue dans un cadre dépouillé et permet des variations sur le thème du double, d’ailleurs même Sparafucile porte un costume identique à celui de Rigoletto (« Pari siamo », chante celui-ci). Force est de reconnaître cependant que, sur un plan esthétique, le résultat n’est guère enthousiasmant et que l’émotion n’est pas toujours au rendez-vous. Ainsi durant « La donna è mobile » et une partie du quatuor qui suit, ces ballerines à demi-nues et emplumées comme les danseuses du Lido, fantasme du Duc qui vient de sniffer un rail de coke, suscitent-elles des rires dans la salle à un moment particulièrement dramatique.
© Monika Rittershaus / Opéra national de Paris
Placée sous la direction un rien tonitruante de Nicola Luisotti, la seconde distribution aligne dans les quatre rôles principaux des interprètes qui ne manquent pas de qualités. La voix sombre d’Andrea Mastroni lui permet de camper un Sparafucile inquiétant à souhait. De plus la basse possède un belle assise dans le grave comme en témoigne son fa longuement tenu à la fin de sa scène avec Rigoletto à l’acte un. Dans le rôle du Duc, Francesco Demuro succède à Michael Fabiano. Si le timbre du ténor sarde est moins charmeur que celui de l’Américain, ses possibilités dans l’aigu lui permettent de conclure sa Cabalette « Possente amor mi chiama » par un superbe contre-ré tenu. Regrettons cependant que son jeu se limite à quelques postures convenues et que son chant peu nuancé oscille le plus souvent entre forte et mezzo-forte, sans doute à cause du trac perceptible en début de soirée. Acclamée au rideau final, Irina Lungu visiblement émue a fait des débuts remarqués sur la scène de l’opéra. Si son timbre n’a pas la pureté de celui d’Olga Peretyatko, la cantatrice dispose d’un medium solide et d’une voix longue qui culmine sur un contre-mi bémol facile et brillant. Fine comédienne, dotée d’un physique agréable, elle incarne une Gilda à la fois touchante et résolue. Enfin, dès son entrée en scène, le bouffon de Franco Vassallo impressionne par l’ampleur de ses moyens et la justesse de son jeu. Pourtant la voix semble faiblir à la fin du trois et après une pause plus longue qu’à l’accoutumée, on vient nous prévenir que le baryton, souffrant, sera remplacé pour le dernier acte par Quinn Kelsey qui fait partie de la première distribution. C’est ainsi qu’à la fin du spectacle, les trois interprètes du bouffon, l’acteur et les deux chanteurs, se tenant par l’épaule, sont venus saluer un public chaleureux et ravi.