Dans le cadre de sa 26e saison musicale, le Musée de l’Armée proposait jeudi 21 novembre un concert qui n’avait absolument rien de militaire mais qui, main dans la main avec le groupe CIC, a permis d’entendre quelques « jeunes talents » français, chanteurs et instrumentistes qui forment en quelque sorte le Salon des Refusés des Victoires de la Musique. En effet, si le guitariste Thibaut Garcia est bien la « Révélation soliste instrumental » de l’édition 2019, le pianiste Théo Fouchenneret est en quelque sorte son rival malheureux, tandis que la mezzo-soprano et le baryton-basse réunis pour cette soirée sont les deux concurrents auxquels, en février dernier, le jury a préféré Eléonore Pancrazi en tant que « Révélation artiste lyrique ». Mais foin de compétition, c’est ce soir une main tendue qui unit l’heureux lauréat aux autres nommés et, pour ne pas avoir reçu les lauriers suprêmes, ces artistes n’en arrivent pas moins bardés de distinctions diverses et variées et ont aussi de bien beaux atouts à faire valoir.
Evidemment, compte tenu des contraintes pesant sur l’exercice, il n’est pas toujours facile de composer un programme qui donne à chacun l’occasion de s’exprimer dans sa discipline : il n’y a aucune raison d’imposer au pianiste le rôle d’accompagnateur systématique, et les faire jouer tous ensemble relève de la quadrature du cercle. Mais à force d’ingéniosité, on trouve des solutions. Quand Thibaut Garcia joue une page d’Albeniz, il accompagne ensuite des œuvres vocales d’autres compositeurs hispanophones ; c’est également lui qui, très judicieusement, soutient la voix dans le « Lascia ch’io pianga ». Plus inattendue, mais tout aussi bienvenue, son intervention dans « La ci darem », où il dialogue avec le piano ; habile également, sa participation à la sérénade de Méphistophélès, là aussi dans un arrangement signé Thibault Perrine. Forcément plus discrète, sa participation à l’ensemble final, où il s’efface derrière le violon de Régis Pasquier, venu en guest star, inévitable pour la valse viennoise d’ « Heure exquise ». De son côté, Théo Fouchenneret se montre un accompagnateur attentif aux voix, et même lorsqu’il lui est donné de s’exprimer en soliste, la musique vocale reste au cœur du programme, puisqu’il a notament choisi d’interpréter avec brio deux transcriptions de Liszt : « Marguerite au rouet » et la Mort d’Isolde.
Mais venons-en au chant. Le hasard fait que ce sont deux voix graves qui sont réunies. Ambroisine Bré trouve ici l’occasion de s’épanouir hors du répertoire baroque où l’on a surtout pu l’entendre jusqu’ici. Elle commence néanmoins par Haendel, offrant une interprétation sensible de l’air célébrissime d’Almirena dans Rinaldo, avec une reprise délicatement ornée. Avec Zerline, la mezzo-soprano ne s’éloigne pas de son actuel répertoire possible (elle sera Dorabella à Strasboug en mai). Tout le reste de son programme est dévoué à la mélodie : envoûtante Hôtesse arabe pour Bizet, elle trouve la juste simplicité émue pour « Morgen » et montre un bel aplomb dans la page de Ginastera qui conclut le bouquet hispanique après deux extraits des Chansons populaires espagnoles de Manuel de Falla. Guilhem Worms déploie un somptueux timbre de basse dans un éventail de styles tout aussi varié : belle interprétation d’une mélodie de Tchaïkovski, élégance et gravité pour le « Ständchen » de Schubert, fougue adéquate pour l’air de Caspar du Freischütz. Toutefois, on regrettera seulement que la recherche d’expressivité dans les autres extraits d’opéra (Faust, Don Giovanni) le conduise à brutaliser une ligne de chant dont il est pourtant parfaitement maître dans le lied : que Méphisto soit sarcastique dans ses éclats de rire, c’est normal, mais il pourrait être plus insinuant, plus séducteur lorsqu’il invoque « Catherine, ma mie », avec un discours moins haché. La Veuve joyeuse lui permet néanmoins de conclure sur un Danilo caressant à souhait, malgré le tempo un rien trop rapide choisi par les interprètes. Cette heure aux Invalides n’en fut pas moins exquise et aura permis au public de se laisser prendre par la main par celle et ceux qu’il applaudira demain dans d’autres lieux.