Gaetano Donizetti a écrit une centaine d’œuvres religieuses, toutes bien oubliées mais dont l’intérêt ne semble pas avoir justifié leur exhumation. Parmi elles, 3 Requiem ont été composés entre 1835 et 1837. Le premier d’entre eux reste le plus ambitieux, même s’il est aujourd’hui encore fort rare. Donizetti l’avait écrit immédiatement après avoir appris la mort de Vincenzo Bellini, fin 1835, et il le dédia à son ami et rival sur la scène lyrique, sans que l’œuvre fût créée pour autant. C’est seulement en 1870, plus de 20 ans après la mort de Donizetti, qu’elle le sera à Bergame, avant de sombrer dans un oubli dont la sortira le musicologue Vilmos Peskó, puis Luciano Pavarotti qui défendit l’œuvre et l’enregistra aux côtés, notamment, de Renato Bruson pour Decca.
C’est donc une partition fort rare qui était donnée à la Basilique Saint-Denis dans le cadre du Festival éponyme. Elle oscille sans cesse entre tradition religieuse telle qu’on peut la trouver dans la musique italienne de l’époque classique et les influences omniprésentes de l’opéra romantique, sans vraiment choisir. Souvent très théâtral, ce que son Dies Irae résume à lui seul, le Requiem à la mémoire de Bellini fait la part belle au chœur. Mais malgré quelques beaux moments, cette œuvre ne peut rivaliser avec celles de Mozart ou de Verdi.
En guise d’ouverture, Leonardo García Alarcón a choisi une autre rareté signée Saverio Mercadante, la Sinfonia sopra i motivi dello Stabat Mater di Rossini, œuvre très oubliable en forme de pot-pourri, où l’on reconnaît certes les mélodies du Stabat Mater rossinien, mais dans une forme assez décousue, artificielle et pour tout dire assez pompeuse. D’emblée, on s’inquiète d’ailleurs quelque peu, dans l’acoustique forcément très particulière de la grande basilique, des déséquilibres entre pupitres, les cuivres et surtout les timbales écrasant littéralement tout sur leur passage, comme on le verra plus loin. La quarantaine d’instrumentistes de l’Orchestre belge Millenium, semblant chercher un peu son unité.
Dès son entrée dans le Requiem aeternam initial, le chœur de chambre de Namur et ses 28 artistes impressionne par sa tenue, sa clarté et sa puissance. C’est une très belle formation, très à son aise, qui offre aussi de superbes pianissimi. Ses pupitres sont équilibrés, très naturels et se fondent particulièrement bien dans l’acoustique de la grande église. Remarquable.
Parmi les jeunes solistes, ce sont les hommes qui sont les plus sollicités. Il n’en reste pas moins que les deux solistes féminines ont parfaitement tenu leur rang. Ambroisine Bré et Giuseppina Bridelli, dont les interventions sont souvent simultanées, ont d’ailleurs des voix qui se complètent bien. L’Italienne a un bonne émission, un beau timbre, très velouté, tandis que la soprano française, plus en retrait dans les ensembles, montre une belle longueur de souffle et une technique sûre, notamment dans le larghetto final. Chez les hommes, Fabio Trümpy, s’il livre un Ingemisco tout de retenue et de finesse, est nettement plus effacé dans les duos ou les ensembles. Il faut dire que la basse Nicolaï Borchev, particulièrement sollicitée par la partition, impressionne par sa puissance, les nuances qu’il sait apporter à ses interventions et son aisance dans toute l’étendue de la tessiture. Son Oro supplex est une splendeur. Il y a du Ramey dans cette voix. C’est incontestablement l’atout maître de la distribution et l’appui épisodique d’une seconde basse venue du chœur, Philippe Fayette, en est superflu.
La déception relative vient finalement de l’orchestre Millenium. Leonardo García Alarcón appuie de gestes précis les contrastes, s’attache à rendre très audibles les aller-retours permanents de Donizetti entre pieux recueillement et lyrisme dramatique. L’ensemble ne manque pas d’allant, mais un peu de tenue, parfois. Il ne fait pas de doute que les instruments anciens de cet orchestre répondent parfaitement à la vision du chef, mais la difficulté n’est pas là. A trop accentuer les contrastes, l’équilibre de l’ensemble est soumis à rude épreuve, tant il est malmené par l’acoustique et ses propres emportements. Exemple très significatif, le déchainement – il n’y a pas d’autre mot – des timbales à tout propos écrase tout l’orchestre et même le chœur et on est bien en peine d’entendre les cordes ou les nuances, en tout cas à une douzaine de rangs de la scène. C’est dommage car l’engagement des artistes est incontestable, tant ils semblent – à juste titre – heureux de recréer une œuvre rare et pas si dénuée de charmes.