Pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’assister à cette même production de Parsifal à Genève du printemps 2004 sous la baguette du regretté Armin Jordan nous laisserons de côté les « c’était mieux avant » pour nous concentrer sur cette reprise du printemps 2010. Difficile de confondre d’ailleurs. Pour cette mouture pas d’annonce quant à la coutume des non applaudissements même si les saluts sont respectés à la fin du IIe acte. Mais laissons aussi ce débat aux puristes, feu Wagner ne pouvant les départager.
C’est donc une reprise en forme de mi-temps pour ce Parsifal, mi-temps de la saison, mi-temps entre une distribution composée par l’ancien directeur, Jean-Marie Blanchard mais une direction musicale choisie par la nouvelle équipe cette fois. Alors toute la soirée oscille entre le fantôme d’une culture alla stagione et celle de répertoire se dessinant pour les saisons futures à Genève.
Deux mots sur la mise en scène même si beaucoup a été dit depuis la création de Roland Aeschlimann en 2004. Il maîtrise l’allemand c’est un fait, aime la calligraphie et la symbolique en général. Pourtant cette production n’est pas la meilleure que le Grand Théâtre ait donné à voir à son public averti. Sa vision néo médiévale kitsch, mi-occidentale mi-orientale, vieillit cependant mieux que d’autres. Le voile dressé entre la salle et le plateau maintenu d’un bout à l’autre de la production participe à l’ambiance liturgique, ainsi que les codes couleurs utilisés : froids – le bleu et le vert sont omniprésents. Même l’aplat jaune de la rédemption finale vire au vert derrière, et c’est logique, le dit voile est bleu. L’ensemble tente de rendre compte du caractère sacré de l’ouvrage lyrique dématérialisé par Wagner. La chorégraphie proposée par Lucinda Childs pour la scène des filles-fleurs à l’acte II est étonnamment infantile, l’exécution brouillonne. Le charisme de Klaus Florian Vogt en préserve heureusement le jeu du « pur innocent ». Enfin l’invitation au métissage sacré, figuré par l’alignement d’une colonie de buddhas, convainc peu à l’acte III.
Grâce soit rendue aux chœurs « tombés » du ciel, impeccables, bien dosés, témoins de l’équilibre parfait entre intensité vocale de l’ensemble et présence sur scène.
La Direction musicale manque en revanche de personnalité et de cœur. Les liaisons sont parfois trop appuyées, certains enchainements malmenés. L’ensemble est propre, mais sec. Tension de l’ensemble, faussetés des cuivres par trois fois à l’Acte III : les moments de grâce possibles sont vite rompus par un John Fiore alangui. Notre époque privilégie un Wagner plus romantique que performant et c’est tant mieux. Mais cette direction nous prive d’instants délectables et traine poussive là où l’on attendrait des enchainements plus véloces. Alors à l’acte II, l’ennui nous prend au moment où pourtant, Klaus Florian Vogt, Parsifal proche de l’idéal, parvient à une merveille d’équilibre entre posture, jeu et timbre argenté.Eblouissant de naturel, parfaite invitation au voyage, il porte à lui seul la part sacrée de l’œuvre. On n’en dira pas autant de Lioba Braun dont la Kundry fait écran à la mystique du duo. La voix est sourde, courte comme un demi ton décalé dans cette tessiture étrangement changeante. Véritable incarnation wagnérienne en revanche, Albert Dohmen est un superbe Gurnemanz qui nous offre notamment un duo exemplaire avec le ténor à l’acte III. Andrew Greenan en Klingsor, Detlef Roth en Amfortas se disputent une médaille de bronze. Leur travail d’interprétation fonctionne à raison d’une direction d’acteurs honnête. Quand le premier, d’une voix élégante mais courte, peine à exprimer la noirceur du magicien maléfique, le second se montre trop juvénile pour convaincre. Les bravi resteront rares et c’est indemne, hélas, qu’on ressort du Grand Théâtre avec cette reprise en demi-tons et quart de notes.