Dans le cadre du quarantième anniversaire du festival d’Ambronay, René Jacobs est de retour dans l’Abbatiale pour un programme conçu comme un dialogue entre airs d’opéras et symphonies de Mozart, « avant tout pour le plaisir », comme le rapporte le programme. Outre la beauté des morceaux choisis et le sentiment plaisant de retrouver les émotions que procure l’audition d’extraits bien connus (avec les souvenirs qui peuvent y être liés), la dimension ludique du spectacle est assurée par les chanteurs en comédiens, mais aussi par le chef qui ne se prive pas de mimiques drôlatiques créant une chaleureuse proximité avec le public.
Si l’atmosphère est ainsi à la légèreté, la musique se charge bientôt de tonalités plus profondes et d’intentions plus savantes. L’ouverture des Noces, qui met en valeur le très beau son de l’orchestre baroque belge B’Rock – toutefois un peu étouffé par la disposition des lieux –, est suivie immédiatement des deux premiers duos de Figaro et de Susanne puis de l’air « Se vuol ballare », dont la dimension menaçante est particulièrement soulignée, dans une théâtralité qui détonne – et donc fait effet – dans l’Abbatiale. Au premier mouvement de la Symphonie en sol mineur succède l’air de Cherubino « Non so più cosa son, cosa faccio », tandis que son autre air « Voi che sapete » est associé au deuxième mouvement de la même symphonie, et ainsi de suite.
René Jacobs © DR
Pourquoi ces choix et cette mosaïque musicale recherchée ? Le texte de présentation souligne la similitude de rythme, voire de construction, entre les compositions ainsi réunies. On peut en effet les entendre comme des variations, instrumentales et vocales, sur un même schéma, ou encore comme différentes manières d’exprimer les mêmes idées musicales. Nous sommes là dans un choix qui n’est plus simplement « pour le plaisir », mais aussi pour spécialistes – rappelant le souhait de Mozart de s’adresser aux connaisseurs comme aux amateurs.
L’idée est louable et l’on pourrait s’attendre à une construction dramatique continue telle que semble la promettre le programme en deux parties. Las, alors que le public recueilli, après les premiers airs, attend la suite en silence, René Jacobs donne le signal des applaudissements aux spectateurs comme pris en flagrant délit d’indifférence. Dès lors, chaque morceau sera ainsi ponctué d’applaudissements nourris (salués d’ailleurs par le chef lui-même qui lève les deux pouces en signe d’approbation), transformant la « dramaturgie inédite et cohérente » vantée dans la brochure en une succession de numéros. On regrette d’autant plus le tempo précipité de l’air de Pamina « Ach, ich fühl’s », dont on peine à percevoir l’intensité, le lyrisme et le désespoir.
Les chanteurs, on l’a dit, ne dédaignent pas d’amuser la galerie, mais, fort heureusement, sans que jamais ce ne soit au détriment du chant. Le baryton scandinave Johannes Weisser, qui prononce avec autant d’aisance l’allemand de La Flûte que l’italien des Noces, possède des graves puissants et une belle projection – mais est-ce l’acoustique de l’abbatiale qui donne l’impression que les fins de phrases sont insuffisamment sonores et donc peu compréhensibles ? La resplendissante soprano Sunhae Im, gracieuse et souriante Susanne, lui donne la réplique avec élégance, aplomb et une voix au timbre clair, dont on apprécie la précision, mais qui parfois se fait un peu métallique dans les aigus forte.
Leur dynamisme et leur énergie communicative font le bonheur des spectateurs, même si certains traits d’humour échappent au public en l’absence de surtitres, ainsi lorsque le Papageno de Johannes Weisser scrute la salle d’un air désespéré en se lamentant : « Nicht einmal ein Mädchen, viel weniger ein Weib ! » (« Pas une seule jeune fille, encore moins de femme ! »), passage parlé qui ne figure pas dans le programme de salle comportant uniquement (mais c’est déjà beaucoup) le texte des paroles chantées en langue originale et en traduction française. Bien sûr, l’intimité que crée le lieu peut présenter quelques inconvénients : lorsque Sunhae Im en Cherubino entonne « Voi che sapete », il se trouve une auditrice pour fredonner le début de l’air en même temps.
Au moment des bis, les chanteurs autant que les musiciens nous donnent une étonnante et remarquable démonstration : le duo « Pa-Pa-Pa-Pa-Papagena » (Acte II, scène 29 de La Flûte) est proposé deux fois, mais de telle sorte que la musique et le chant, tout en restant les mêmes, semblent pourtant différents lors de leur reprise, dans les nuances, les effets, les contrastes, tandis que le jeu de scène des deux personnages est entièrement modifié. Belle leçon sur la faculté d’éternelle jouvence de la musique de Mozart et sur l’art de l’interprétation.