Depuis quelques saisons, le belcanto romantique semble revenir en grâce en région parisienne. Il y eut d’abord les reines donizettiennes au Théâtre des Champs-Elysées1 (malheureusement pas toujours bien chantées et plutôt mal dirigées), la création de La Somnambule à Bastille (avec là encore une distribution et une direction contestable) et enfin, ces jours-ci, une Donna del Lago impeccable vocalement mais dont on a déjà souligné les faiblesses scéniques et orchestrales.
Ce magnifique concert nous fait grimper d’un cran dans l’excellence en réunissant deux splendides artistes dans un programme tout à fait excitant et que l’on aimerait entendre à nouveau dans un ouvrage entier cette fois.
A peine revenue de Marseille où elle interprétait Ophélie, Patrizia Ciofi nous apparaît en grande forme pour cette soirée. On l’a déjà dit, ses moyens ne sont pas exceptionnels : un léger voile sur le bas medium rend la voix un peu sourde et la projection reste limitée tout en étant largement audible. Pêchés véniels au regard des qualités du soprano qui démontre encore une fois sa maîtrise technique : variation des couleurs, ornementation des reprises, agilité des vocalises jusqu’aux contre-ré (2 ou 3 dans la soirée). Son contrôle du souffle est tout aussi exceptionnel, lui permettant d’amoindrir un aigu forte pour le transformer en pianissimo aérien. Mais cette perfection technique ne serait rien si elle n’était alliée à une profonde compréhension du style belcantiste. Goût, mesure, intelligence et musicalité, on ne sait que louer dans cet art délicat du chant. Enfin, l’interprète est capable d’une véritable communion avec les personnages incarnés, en particulier leurs faiblesses. Ici, Ciofi est moins « reine » que « femme blessée » (on est encore loin de Callas, de Sutherland voire de Sills ou Caballé). C’est cette poésie dans l’incarnation qui nous la fait d’ailleurs préférer dans Donizetti, plus romantique, que dans Rossini, davantage virtuose. En témoigne un « Al dolce guidami » éthéré, bouleversant dans sa simplicité même.
On pourrait presque écrire que Laura Polverelli dispose des qualités inverses de sa consœur. Le timbre est riche, la voix est sonore, en revanche, la virtuosité n’est pas toujours au rendez-vous : les reprises ornées sont purement et simplement coupées, les aigus (quand il y en a) sont tendus, le souffle n’est pas toujours correctement géré (dans le duo de Bolena, Polverelli reprend deux fois sa respiration au cours d’une note tenue)… Mais l’artiste reste attachante et sa voix s’harmonise parfaitement avec celle de Ciofi.
En ce qui concerne le chef italien Paolo Carignani, on pourra voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Certes, sa direction n’est pas un modèle de raffinement, mais elle est efficace et attentive aux chanteurs malgré l’acoustique très défavorable de la Basilique, la prestation de l’Orchestre National d’Ile de France étant par ailleurs très correct. Rien de « génial », mais un exemple tout de même pour les tacherons que nous devons subir au Palais Garnier dans la Donna del Lago.
Malgré le très grand succès public, nous n’aurons droit à aucun bis, mais le concert est tout de même assez copieux (moins d’1h30 avec seulement 3 pièces orchestrales, dont l’apocryphe « Ouverture du Voyage à Reims », et sans entracte). N’en manquez pas la diffusion sur France Musique !
1 Maria Stuarda en 2007 et Anna Bolena, le 23 novembre 2008