C’est une toute grande pointure de l’art lyrique qui fait figure d’invité d’honneur au Festival d’Hohenems (Autriche) cette année : Thomas Hampson, 61 ans depuis peu, y assure les concerts d’ouverture et de clôture, et donne chaque matin une master class – nous en rendrons compte dans un prochain article. Pour l’ouverture, le baryton américain avait choisi de consacrer la soirée entière aux lieder d’Hugo Wolf. Puisant dans l’important corpus des Mörike Lieder, il s’attache en première partie à présenter différentes facettes du compositeur, son côté expressionniste, bien sûr, son incroyable efficacité dramatique, son sens aigu de la poésie, la nostalgie un peu noire qui baigne la plupart de ses mélodies, mais aussi son humour, qui sauve tout. Du haut de son mètre quatre-vingt douze, le charme en permanence au coin des lèvres, des allures de gendre idéal malgré l’âge, Hampson dégage une personnalité très forte qui focalise vers lui tous les regards. Au point que l’excellent Wolfram Rieger a du mal à s’imposer lorsqu’il s’agit de dialoguer. C’est pourtant lui qui installe pour chaque lied le climat poétique requis, qui prélude avec une richesse de couleurs inouïe, qui rattrape avec modestie et sans broncher les distractions du chanteur (qui a pourtant – par tablette interposée – la partition sous les yeux et ses lunettes sur le nez), d’une efficacité sans faille, d’une intelligence constante, et dont on devine qu’il est pour beaucoup dans la qualité du travail de conception et de mise en place de l’ensemble du récital. Chapeau bas monsieur Rieger !
Ce qui frappe avant tout, lorsqu’on écoute Hampson, c’est la qualité du timbre, d’une étonnante richesse et le caractère éminemment lyrique de l’ensemble de sa prestation, qu’il gère avec beaucoup d’aisance. Ce timbre est en plus servi par l’acoustique très flatteuse de la petite salle Markus-Sittikus, 320 places et des allures de salle des fêtes d’une école d’avant la guerre, qui réverbère un peu la voix sans pour autant masquer les détails de l’interprétation. Les miniatures de Wolf ne requièrent sans doute pas tant de son mais ne s’en offusquent pas non plus, le plaisir d’une très belle voix, même lorsque le chanteur en use et en abuse, est toujours bon à prendre. A cela s’ajoute un legato extrêmement soigné, une diction allemande parfaitement claire et une connaissance approfondie du style que requiert cette musique si près du texte, et pourtant sans cesse en léger décalage avec lui. La prestation de Hampson est idéale dans les lieder de Mörike, sans doute plus narratifs, où son léger détachement fait merveille. Lorsqu’en début de seconde partie il entame les trois chants du harpiste, on ne peut s’empêcher de penser qu’il raconte la souffrance existentielle du personnage de Goethe plus qu’il ne la vit ; le dolorisme qu’il y met est un peu extérieur, son interprétation qui respire la santé perd ici un peu en crédibilité, d’autant qu’on le sent mal à l’aise avec l’écriture syncopée et terriblement chromatique du deuxième chant. Eichendorff lui convient mieux, qui parle d’amour, de nostalgie et de nature. Les deux derniers lieder du programme, sur le thème de la nuit, sont tout simplement sublimes, amenés par le prélude du piano donné par Rieger avec une rare poésie, c’est sans doute le plus beau moment de la soirée. Très chaleureusement applaudis par un public idéal, attentif, connaisseur et plein de respect, les deux artistes donneront encore trois bis, subtilement choisis – à nouveau – pour illustrer toutes les facettes de Wolf, dont le magnifique Anakreons Grabe.