Thomas Hampson est de ces artistes qui, tout auréolés d’une carrière longue et fructueuse, n’ont plus à prouver leurs qualités pour remplir les salles de concert. Il faut dire que la voix est superbe de texture, de mordant, de moelleux aussi ; cela étant acquis, le baryton pourrait se complaire à déployer son instrument avec tout le lyrisme dont on le sait capable, et cela aurait fait une belle soirée ; mais ce n’était pas là le propos du baryton : il s’agissait, en bon mélodiste, de raconter des histoires, et quel programme exigeant en termes de narration !
Parmi les huit Mörike Lieder et les six extraits de Des Knaben Wunderhorn sélectionnés par l’interprète, se succèdent récits, dialogues, élégies, descriptions, sans parler des sentiments extrêmements divers qu’ils convoquent.
On entend dans les deux premiers Lieder une attention toute particulière à la couleur des voyelles, légèrement assombries, qui donnent un legato et une homogénéité formidables à la ligne. Puis la magie opère : Thomas Hampson renonce à la quête du son idéal, renonce à la beauté même. Tout est soumis aux nécessités de l’expression, avec des consonnes qui éclatent, des accents qui brisent la ligne, une douceur déchirante, une voix parfois détimbrée jusqu’à la fêlure, et surtout ces fortissimo puissants, assurés, terrassants.
Ce visage aussi, complètement habité : le sourire qui point sur l’« Auf einer Wanderung », la félicité de « Das himmlische Leben », le drame de « Das irdische Leben », et que dire de ce « Feuerreiter » halluciné ! Certes le répertoire choisi se prête à tous les jeux ; mais rares sont les chanteurs qui poussent l’interprétation si loin que la beauté vocale en devient parfaitement secondaire.
Cela demande il est vrai une maîtrise vocale exceptionnelle : les possibilités expressives sont toujours le reflet des qualités techniques de l’interprète. Mais cela est d’autant plus frappant lorsque le chanteur est aussi un musicien consommé : à voir Thomas Hampson écouter le piano de Wolfram Rieger, s’imprégner de l’instrument dans chaque introduction, chaque transition, chaque conclusion, on en est convaincus.
Ce sont sans doute les Lieder de Des Knaben Wunderhorn qui se révèlent les plus denses, profonds, comme si les mots et les notes étaient ceux du chanteur, et non d’une partition. Wolfram Rieger y dévoile un son très beau, plein, malléable, mais reste toujours dans un rôle d’accompagnement. C’est bien dommage avec un tel pianiste et de telles pièces ! A trop vouloir laisser la place au baryton, il en a un peu oublié de dialoguer sur un pied d’égalité avec lui.
On se laisse en tout cas gagner par la présence et l’intensité de Thomas Hampson : on se surprend parfois à retenir son souffle, happés par ses paroles. Cela n’empêche pas l’élégie, ni même l’humour dans « Begegnung » ou « Wer hat dies Lied erdacht » qui vient clôre le concert.
Cette apnée passagère est en tout cas le signe que la beauté ne fait pas tout, et que le sens fait bien plus.