Parmi les voix masculines, on est plus habitué aux récitals de ténors et de contre-ténors, voire – mais c’est déjà moins fréquent – de barytons. Alors, quand on a la chance de pouvoir assister au récital d’une voix de basse, on se dit d’emblée qu’il y a là quelque chose d’exceptionnel. Et si ce qu’on y entend est exceptionnel aussi, ce qui était le cas ce samedi après-midi, on souhaiterait qu’un public plus nombreux encore apprenne à connaître le répertoire et les ressources de cette tessiture lorsqu’elle est aussi bien maîtrisée.
Après avoir été le Grand-Prêtre de Baal dans Nabucco donné au Théâtre antique l’année dernière, c’est cette année dans le cadre intime de la Cour Saint-Louis à Orange, à l’ombre toute relative des grands arbres que traversaient les rayons d’un soleil brûlant, que la basse Nicolas Courjal a donné samedi 1er août un récital audacieux et séduisant à la fois, accompagné par le pianiste Antoine Palloc.
L’audace, c’est de commencer le récital par quatre mélodies de Duparc, exigeantes, sans complaisance, peu connues du grand public, et dont le compositeur lui-même déclarait les avoir écrites « sans aucun souci d’applaudissement ou de notoriété » (Phydilé, Testament, La vie antérieure, La vague et la cloche). La recherche de la diction précise, de la fusion du mot et du son, l’engagement physique de Nicolas Courjal en disent long sur son approche du chant qui emplit la cour auparavant envahie par les stridulations des cigales. Les textes de Leconte de Lisle, de Baudelaire sont vécus avec intensité, le souffle et la projection sont au service d’une interprétation en tous points remarquable et saisissante de vérité, des nuances les plus délicates jusqu’aux fortissimi les plus sonores.
La proximité du chanteur, le contact visuel qu’il conserve avec le public, sa simplicité et la parfaite synchronisation avec le pianiste suscitent l’adhésion et l’enthousiasme d’un public composé aussi, à côté des connaisseurs, de jeunes auditrices et auditeurs qui découvrent sans doute ce répertoire. Viennent ensuite les quatre Chansons de Don Quichotte de Jacques Ibert, plus flatteuses à l’oreille par leurs mélodies hispanisantes, culminant dans la Chanson de la mort à laquelle le timbre et les nuances de Nicolas Courjal confèrent une rare puissance d’émotion.
© Kris Picart
La séduction, c’est de consacrer la deuxième partie à des airs d’opéra qui nous font voyager dans le répertoire européen, avec une prononciation impeccable de la langue allemande que la basse française doit à son séjour en Allemagne (voir les propos recueillis au mois de mars dernier par Christophe Rizoud) et une aisance confondante dans les notes les plus graves de l’air de Sarastro « In diesen heil’gen Hallen ». On entend à nouveau sa diction impeccable du français dans l’air de Soliman « Sous les pieds d’une femme » extrait de La Reine de Saba de Gounod, suivi d’une superbe interprétation de l’air du Don Quichotte de Massenet : « Je suis le chevalier errant » comme de celui de Philippe II dans le Don Carlos de Verdi : « Elle ne m’aime pas » – ce dernier étant l’occasion pour Antoine Palloc de faire entendre sa virtuosité dans l’introduction musicale, illustrant l’idée fixe qui hante le roi.
L’air du Prince Grémine, véritablement habité, témoigne d’une maîtrise de la langue russe et l’air de la calomnie (Don Basile) de celle de la langue italienne. C’est une succession de sommets, émouvants et expressifs.
Chaleureusement applaudis, les deux artistes consentent un bis (« avec ce qui me reste de voix et de mémoire », dit modestement Nicolas Courjal, feuillets à la main cette fois alors que tout le récital a été donné sans partition). C’est Night and Day, de Cole Porter, moins abouti, mais qui laisse ouvertes de nouvelles perspectives, de maîtrise de la langue anglaise et d’un élargissement du répertoire. Comme un regard dans l’atelier de travail d’un artiste accompli, dans le programme de formation permanente d’une grande voix de basse.